Violence juive
« Dieu ne saurait désirer la
destruction de l’humanité, et ne donnera jamais l’ordre de tuer des êtres
humains. »
R.
Joseph Albo (1380-1444) – (Sefer haïkarim III, 14)
« Il
est effroyable que la seule valeur qui nous reste soit celle du coup de poing
juif. »
Y.
Leibowitz
Entrée en matière
Les événements tragiques de ces derniers jours ont mis en évidence que
le peuple juif n’est pas plus à l’abri qu'un autre d’extrémistes capables
d’instrumentaliser le judaïsme à des fins terroristes et criminels. Au vu de
certains articles et réactions que j’aie pu lire sur le sujet il me paraît
important d’expliquer quelques notions afin d’éviter des contresens faciles.
Prenons tout d’abord acte que la Torah contient nombre de textes d’une extrême
violence, que ce soit dans ses récits mais aussi dans sa législation. Cette
violence se retrouve dans toutes les catégories des textes, bibliques ou
rabbiniques.
Par conséquent, de même qu’il est impensable d’affirmer que les crimes
de Daesh ne relèvent pas de l'Islam, il est intolérable à l’esprit et
totalement irresponsable que de prétendre que ceux commis, au nom de la Torah,
n'ont rien à voir avec le Judaïsme. Rien ne permet d’affirmer que le discours
de ces extrémistes fait moins partie du Judaïsme, qu’un discours humaniste et
ouvert à l’autre. Quand bien même nous démontrerons les erreurs grossières que
commettent les partisans de ce discours violent, nous contenter d’une
argumentation aussi limpide soit-elle ne suffit pas à disqualifier le discours
opposé de leur prétention d’agir au nom des textes.
Avant
de poursuivre levons tout de suite un malentendu : Il va sans dire que la
présence de textes violents, en vigueurs ou non, n’ont aucune légitimité à
excuser ou même à « relativiser »
ces crimes monstrueux. En effet, quelles qu’en soient nos lectures, la question n'est pas de savoir si les textes les
justifient ou non, mais de les considérer légitimes pour dicter nos consciences[1].
1.
De
l’instrumentalisation des textes violents de la Torah
Tout texte quel qu’il soit a pu être instrumentalisé pour justifier les
pires violences. Pour ne citer qu’un exemple, rappelons qu’Eichmann lui-même aurait
déclaré, lors de son procès à Jérusalem, avoir vécu toute sa vie selon les
préceptes moraux de Kant, et particulièrement selon la définition kantienne du
devoir. Ainsi il affirma s’être appuyé sur l’impératif kantien pour justifier
sa collaboration à la solution finale[2]. Cela
signifie que le philosophe de la morale et de l’humanisme, contient dans
son discours des éléments permettant un glissement vers une justification du
IIIe Reich ! Quand bien même Hannah Arendt fait remarquer
qu’Eichmann a mal compris l’impératif kantien. Ainsi, sans dénoncer les
intentions de l’auteur de la Critique de la raison pratique[3], nous
ne pouvons affirmer que la pensée même du philosophe ne permet pas de telles
dérives.
Le Judaïsme n’est pas plus à
l’abri d’un tel glissement, le Talmud nous en avait déjà mis en garde :
« Sages, soyez vigilant dans vos propos ; car vous
pourriez être condamnés à l’exil et expulsés dans un endroit où les eaux sont
souillées ; les disciples qui vous suivent pourraient alors en boire et mourir,
et le Nom céleste s’en trouverait profané. »
(Avot 1, 11)
En réaction à un texte
virulent de Simone Weil, contre la violence manifeste de l’Ancien Testament,
dans Difficile Liberté, Lévinas a produit
un texte très significatif. Il ne remet pas en cause la dénonciation de la
philosophe, bien au contraire, il dit même s’indigner avec elle. Ce qu’il lui
reproche, en revanche, c’est le fait d’occulter sciemment l’apport de la
Tradition Rabbinique en ce domaine, apport qui a largement permis sinon
d’abolir cette violence au moins de l’atténuer. Ceci afin d’échapper à une
littéralité primaire qui viendrait nous faire croire que le texte pourrait être
à lui-seul l’indice d’une prétendue violence intrinsèque au Judaïsme et donc
aux juifs eux-mêmes. C’est ainsi qu’il écrit :
La dure loi de l’Ancien Testament n’est
peut-être pas une doctrine de douceur – qu’importe, si c’est une école de
douceur. Il ne s’agit pas de la justifier par son succès. Mais il est probablement dans la nature de l’esprit qu’un Dieu sévère
et un homme libre préparent un ordre humain meilleur qu’une bonté infinie pour
un homme mauvais. Seul un Dieu qui maintient le principe de la Loi peut
pratiquement en adoucir la rigueur et
dépasser dans une loi orale l’inéluctable dureté
de l’Écriture
Emmanuel Lévinas (Difficile liberté, p. 185)
Si ce texte édifiant de Lévinas a au moins le mérite de montrer l’intérêt
de l’interprétation rabbinique, sachant que la violence, que lui-même déplore, reste
présente dans les textes personne n’est à l’abri d’un tel glissement.
Maïmonide résume cette même idée, au sujet de savoir qui, d’entre la
sauvegarde de la vie humaine et la pratique du shabbat, doit être privilégié :
« L’homme qui pratique [les lois de la Torah] obtient
par elles la vie » (Lv 18, 5) : « Tu en retires que les lois de la Torah ne
sont pas une vengeance, mais sont miséricorde, générosité et paix pour le
monde. Quant à ces hérétiques qui prétendent qu’il est interdit de transgresser le shabbat même
en cas de danger pour la vie, le verset dit à leur sujet : “Et moi aussi je
leur ai donné des préceptes qui ne sont pas
bons, et des jugements par lesquels ils
ne pourront vivre” (Ez 20, 25) »
(Mishneh Torah, lois de Shabbat 2, 3)
Maïmonide pose donc en principe que les critères qui fondent que la loi
divine est une loi de miséricorde et de paix, ou au contraire une loi cruelle,
relèvent uniquement du regard que porte l'homme, à partir de sa propre
conscience, du texte religieux. Les uns diront que la vie humaine à priorité
devant l'observance du shabbat, et les autres que la vie est secondaire. Tous deux s'appuient toutefois sur un même texte. Ainsi que nous
l’avons vu, les textes eux-mêmes peuvent autant démontrer une justification de
ces crimes odieux que de les condamner, je dis souvent avoir bien plus peur des
lecteurs que des livres.
Aussi il convient, avant de
nous démarquer de ce genre de discours, de cerner précisément où se situe le
mécanisme dialectique pouvant justifier ou invalider une telle violence au nom
de la Torah.
2.
À propos des textes religieux violents
Venons-en maintenant au fond du problème.
Admettons un instant que les antagonistes du discours ; d’un côté ceux qui
brandissent la Torah pour justifier leur humanisme et qui, à raison, condamnent
ces crimes, et de l’autre ces terroristes qui, au contraire, légitiment leurs
actes monstrueux, s’appuient sur un même texte, comment dès lors se
positionner ? Si l’on s’en tient à une lecture qui se veut la plus
objective et la plus rigoureuse possible, comment à la fois désigner les textes
qui ont permis ce genre de dérives, et en même temps démonter le mécanisme
idéologique qui permet de les instrumentaliser à des fins meurtrières ?
Nous l’avons dit la Torah elle même justifie des attitudes extrêmement
violentes, à la fois au niveau des sentences qu’elle prévoit sur certaines
transgressions, mais aussi à l’endroit de certains peuples, considérées comme
ennemis d’Israël, et dont les mœurs étaient aux antipodes des valeurs
monothéistes[4].
Le seul mérite de la Tradition rabbinique, n’a pas été, loin s’en faut,
d’abroger ces lois, mais de rendre les conditions d’application plus difficile,
voir parfois impossible[5].
Ainsi, pour prendre l’exemple des événements de ces derniers jours, à
partir de quels éléments pouvons-nous donc démontrer que l’attitude de ce terroriste qui a poignardé des
participants à la dernière gay-pride en Israël, a agi à l’encontre de la Halakha ? Sachant que la Torah
qualifie l’homosexualité « d’abomination »
et condamne celui qui la pratique à la lapidation.
Ou encore ceux qui justifient de brûler des Églises au nom du fait que
Maïmonide tiendrait les chrétiens pour idolâtres. Ainsi que cet autre terroriste
juif qui a brûlé une maison palestinienne à Naplouse tuant un nourrisson, et
son père qui succomba à ses blessures. La liste n’est malheureusement pas
exhaustive. Là encore ces extrémistes juifs qui font l’apologie de ce crime
barbare, brandissent entres autres ce passage du Talmud qui affirme :
« Celui qui vient pour te tuer, lève-toi et tue-le » (Yoma 85,
b). Et puisque selon leur logique tout Palestinien est un potentiel criminel et
n’a d’autre motivation que de tuer des juifs, le fait de les combattre par les
armes anticipe leur propre crime.
La méthode dite de statistiques, principalement utilisée avec le Coran,
qui permet de recenser les versets pacifiques, et de montrer qu’ils sont bien
plus nombreux que les versets belliqueux, n’est pas convaincante, et encore
moins s’agissant du Judaïsme. En effet, sans dénigrer la démarche de la
critique biblique qui consiste à relever les points de contradictions du texte,
afin d’en dégager d’éventuelles couches de lectures, une telle approche n’a
aucune pertinence pour comprendre la logique talmudique. Les sages du Talmud ne
connaissaient pas la critique biblique, ils ne pouvaient se contenter d’une
telle démarche. Au contraire, leur premier souci était de maintenir une
cohérence globale de l’ensemble de ces versets, en dépit de leur apparente
contradiction.
Le fameux « tu ne tueras point » du décalogue, par exemple – au
demeurant mal traduit, et qu’il conviendrait de traduire par « tu n’assassineras point » – ne peut invalider
la peine capitale, prévu par la Torah. Au contraire, c’est parce que la Torah
interdit le crime, qu’un criminel est condamné à mort. Par conséquent, à la
fois le « tu ne tueras point » ainsi que les versets qui condamnent à
mort le criminel se justifient mutuellement.
Récemment a été publié un pamphlet intitulé « la Torah du Roi ». Cet ouvrage, qui a fait scandale, a été
certes interdit en Israël, mais vendu sous le manteau. Il a été rédigé par des
« érudits » capables de
démontrer que rien dans la Torah n’interdisait, dans le contexte actuel, de
tuer les Palestiniens ! Je n’aurais pas ici la place de démonter point par
point les arguments que j’ai pu lire (sur internet) tirés de ce pamphlet[6], sinon
pour démontrer non pas l’invalidité des thèses avancées, mais l’impossibilité
de les mettre en pratique de nos jours d’un point de vue halakhique.
En effet, la démarche de se lancer dans une casuistique, afin de démonter
par l’art du pilpoul le contraire de
leurs arguments ma paraît peu convaincante. Sachant que mes contradicteurs
pourraient à leur tour jouer de cette même dialectique. Il me paraît bien
préférable de montrer en quoi les conditions d’applications de ces versets
bibliques, tout comme la législation rabbinique qui en découle ne sont plus
réunies de nos jours, et que par conséquent la Halakha ne saurait à notre époque cautionner de tels actes.
3.
Fin de la souveraineté juive et législation
rabbinique
La fin de la souveraineté juive qui débutera en 586 av. J.C, avec
l'exil de Babylone et la destruction du premier Temple, prendra fin au début de
notre ère, vers 70, (destruction du second temple). La destruction de Jérusalem
a contraint les juifs à repenser les fondements mêmes de leur législation.
C’est ainsi qu’ils ont dû mettre un terme à toute forme de pouvoir politique, en
sorte que les pratiques religieuses puissent continuer à faire sens malgré la
diaspora. C'est comme ça que le Judaïsme s'est d'entrée de jeu inscrit
dans la sphère privée, les lois relatives à la laïcité par exemple n'ont jamais
posées de problèmes pour la Halakha[7].
Ainsi, le seul argument
pouvant, à mon avis, être opposé à
toute dérive justifiant la violence au nom de la Torah est de montrer que dès
l’instant où le Judaïsme à cessé toute velléité de pouvoir politique sur le peuple
juif, plus aucune instance rabbinique
n’a d’autorité à appliquer les sentences de morts et les châtiments corporels
prévus par la Torah.
On peut ici pointer la différence entre le Judaïsme de l’Islam. Sans
être spécialiste de la question, sur le plan musulman, on peut dire, pour aller
vite, que l’Islam n'a pas subi le même sort que le Judaïsme. Aucun événement
majeur n'a provoqué en effet dans l'histoire des Musulmans de rupture avec leur
propre tradition religieuse, depuis ses origines. Ainsi, à la différence du
Judaïsme, aucune loi dans la religion musulmane n’a été abolie, du fait de
conséquences historiques, tandis que de nos jours, toute la législation
d’Israël relatives à la souveraineté juive, incluant celles liées au Temple,
ont été rendus inapplicables[8].
C’est en ça que le peuple juif a pu perdurer à près de deux mille ans d’exil.
Sachant que la question risque d'être posée, il est préférable de
l'anticiper : même s’il s’agissait d’un État religieux, l'État d'Israël
(principalement laïc) n'a pas vocation à se substituer au Grand Sanhédrin de l'époque du Temple. Tel que je l’ai démontré
ailleurs, toutes les lois de la Torah en rapport à la souveraineté juive et qui
ont été abolies, n'ont jamais été rétablies même après la création d'un foyer juif
en Palestine (cf. « Israël Palestine, la paix à la lumière de la
Torah » II, chap. 2). C’est le cas notamment des guerres de Mitsva, incluant les guerres de
conquêtes de la terre d’Israël, ainsi que l’injonction d’anéantir les sept
nations et le peuple des Amalécites[9]. Toutes
ces lois n’ont plus cours vue qu’elles sont dépendantes de la présence d’un roi
en Israël et du Sanhédrin[10].
Le cas des Amalécites, que la Torah ordonne d’anéantir, avec les sept
peuples, du temps de Josué : « Efface
la mémoire des Amalécites du dessous des cieux » (Dt 25, 19), non
seulement ne s’appliquait pas à l’époque aux individus qui se seraient
démarqués de la conduite de leur peuple[11],
mais en plus s’avèrent inapplicable de nos jours, en aucune manière. En effet,
les rabbins du temps de la Mishna avaient déjà statué que depuis que le Roi
Sénacherib a mélangé les peuples[12], il
est d’un point de vue halakhique
impossible de déterminer qui est
réellement descendant des Amalécites[13].
[Maïmonide, dans son Sefer
ha-Mitsvot, livre de nomenclature des commandements de la Torah, précisera
à son tour, que même si rien d’un point de vue de la structure de la Halakha ne permet d’affirmer que ces
lois, relatives aux descendants des sept nations et de ceux des Amalécites, ne
sont plus en vigueur, ces commandements ne
peuvent plus concrètement être réalisés. Sachant en effet qu’ils ne se trouvent plus de nos jours des
descendants de ces nations-là, les quelques minorités qui subsistent se
sont déjà mélangées aux autres nations.
C’est ainsi que le Sefer
ha-Hinoukh après avoir énoncé les détails de cette loi écrit :
« Commandement applicable en tout lieu et en tout temps, s’il s’avère
qu’il se trouve encore des descendants des Amalécites parmi nous »
(Commandement 604)[14].]
On sait par exemple que si toutes tentatives de vouloir reconstruire le
Temple de Jérusalem et de restaurer le Sanhédrin se sont avérées infructueuses,
c'est avant tout du fait de l'opposition des juifs orthodoxes. C’est d’ailleurs
l’argument essentiel de l’antisionisme religieux, il est en effet admis que
seul le Messie sera habilité à rétablir le Sanhédrin de réinstaurer le pouvoir
politique sur le terre d’Israël, et de reconstruire le Temple, comme l’écrit
Maïmonide (Mishneh Torah lois des
Rois 11, 1, et 4).
Il ne s’agit pas pour nous ici, loin s’en faut, de défendre le point de
vue religieux antisioniste, sujet longuement abordé ailleurs, mais d’attester
au contraire que toutes légitimités au sionisme et à l’État d’Israël ne valent
que dans la mesure où les concepts sont séparés. Il ne s’agit pas de rejeter le sionisme, au
nom de la Torah, comme le croient les antisionistes religieux, ou d’en choisir
un au détriment de l’autre, comme sont tentés de le faire les laïcs en Israël,
mais de vivre ces deux réalités en distinguant leur nature et surtout leur
principe. À l’instar de ce que
disait très justement Yéshayahou Leibowitz : « le sionisme n’a pas plus besoin du
judaïsme pour être, que le judaïsme n’a besoin du sionisme pour exister ».
Par conséquent, le problème n’est pas de savoir s’il faut soutenir ou non le
sionisme, mais du risque d’instrumentaliser les textes religieux à des fins de
propagandes pour justifier un sionisme radical.
4.
Processus voulu et anticipé par les sages
Une lecture attentive des textes montre que la fin de la souveraineté
juive, même si elle est due aux conséquences de l’histoire, était un processus voulu
et même anticipé par les sages.
Expliquons-nous : L’événement le plus significatif qui ouvre la
voie à ce qu’on pourrait appelé le judaïsme diasporique, est en effet
l’attitude de R. Yohanan b. Zaccaï, élève de Hillel, premier siècle et
contemporain de la destruction du temple.
B. Zaccaï préféra en effet renoncer à Jérusalem et au Temple au profit de la
ville de Yavneh pour y fonder l’académie des sages (Guitin 56, b). Ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs le
contexte historique ne laissait pas présager que la vie juive centrée autour du
Temple, et donc avec un pouvoir politique religieux, pouvait encore être
possible. Il fallait, en l’occurrence, anticiper
les événements, afin d’offrir au judaïsme un renouveau en dehors de cette
structure. C’est ce qui a permis la pérennité de la transmission orale de la
Torah[15].
On peut aussi le démontrer à partir des circonstances de l’abolition de
la peine de mort dans la loi rabbinique, abolie quelques quarante années avant
la destruction du Temple. Voici comment le Talmud nous rapporte les conditions
de son abolition :
« Quarante ans avant la destruction du Temple, le
Sanhédrin qui siégeait à Jérusalem s’est exilé de sorte qu’il ne puisse plus
juger les criminels. Du fait de la forte augmentation de la criminalité, les
sages n’étaient plus en mesure de juger les condamnés à mort, c’est pourquoi
ils ont préférés s’exiler de Jérusalem afin que la peine capitale ne soit plus
pratiquée. »
(Avoda Zara 8, b)[16]
Essayons cependant de comprendre l’attitude des rabbins dans ce
processus d’abolition. Il est vrai que le Talmud lui-même atteste d’une volonté
des sages sinon d’abolir la peine capitale, au moins de la rendre le moins
applicable possible. À l’instar de ce que la Mishna nous dit :
« Un Sanhédrin qui prononce plus d’une
condamnation à mort tous les sept ans est considéré comme sanguinaire. Selon R.
Eléazar b. Azarya en soixante-dix ans. R. Tarfon et R. Akiba disaient :
« Si nous faisions partie du
Sanhédrin, nous n’aurions jamais appliqué la peine de mort ».
Mishna
(Macot 7, a)
Or, il demeure que si les conditions d’applications sont réunies d’un
point de vue halakhique il relève
d’une obligation de la Torah de l’appliquer[17], comment
par conséquent les rabbins ont-ils pu se dérober de leurs obligations ?
Sachant qu’il était impossible d’un point de vue de la loi de la Torah
d’abolir la peine de mort, les sages, n’ont en réalité absolument pas changé la
norme halakhique. Ainsi, pour
parvenir à leur fin, ils ont préféré dissoudre le pouvoir central du Sanhédrin,
composé de soixante-et-onze membres[18], qui
siégeait au Temple de Jérusalem, pour se soustraire des conditions
d’applications. En effet, même si selon la Halakha
tout tribunal de vingt-trois membres est habilité à juger les affaires
criminelles, la peine capitale ne peut être prononcée que si le Grand Sanhédrin
est encore en vigueur. C’est pourquoi c’est précisément en exilant le Sanhédrin
de Jérusalem que les rabbins ont rendus la peine capitale inapplicable.
5.
De la question de la réinstauration du
Sanhédrin
Reste cependant à comprendre pourquoi les juifs n’ont jamais envisagé
de réinstaurer le Sanhédrin ? Cette question est d’autant plus pertinente après
la création de l’État d’Israël. Qu’est-ce qui entrave aujourd’hui de rétablir
concrètement la souveraineté juive ?
Il relèvent certes de l’évidence qu’un tel projet ne serait pas, à
raison, du goût des laïcs en Israël, qui aspirent eux au contraire à une
démocratie. Il se trouve néanmoins que la plupart des rabbins sérieux se sont toujours
insurgés contre toute tentative de réinstauration du pouvoir religieux en
Israël[19], y
compris en y passant par des processus démocratiques[20]. Nous
pouvons, en outre, noter que, hormis quelques cas de dérives isolées, aucune
instance religieuse sérieuse n’a jamais cherché à réhabiliter le pouvoir
central du Judaïsme pas même pour servir d’autorité aux juifs pratiquants[21].
De l’annulation de la Semikha
Quand bien même on pourrait ergoter à l’infini voir déplorer cet état
de fait, il est de nos jours impossible d’un point de vue halakhique de réinstaurer la souveraineté juive. En effet : la
condition première pour restituer le Sanhédrin est de rétablir au préalable la Semikha. Qu’est-ce que la Semikha ? Il s’agit d’une
ordination qui octroi à tout sage ordonné
un droit de juridiction. Maïmonide nous précise qu’en plus du fait qu’une Semikha doit être donnée en Terre
d’Israël, celle-ci n’est valable que si celui qui la transmet peut justifier
d’une Semikha transmise de génération
en génération remontant à Moïse[22].
Il est vrai qu’au XVIe siècle, une des plus grandes figures rabbiniques de son temps, R. Jacob b. Moïse,
le Mahari Bérav (1475-1546), tenta de réinstaurer l’ordination. Il
s’appuya sur un texte de Maïmonide qui précise que si « tous les juges de la Terre d’Israël
s’accordent à rétablir la Semikha et
qu’ils nomment, en conséquence, des juges, cette ordination est valable »
(Mishneh Torah, lois de Sanhédrin 4, 11)[23].
En dépit du fait que Maïmonide lui-même n’était pas tranché, puisqu’il conclut
que « La chose mérite cependant
examen », le Mahari Bérav tenta malgré tout de convaincre ses
contemporains du bien fondé de l’argument afin de rétablir la Semikha. C’est ainsi qu’avec l’aide des plus prestigieuses autorités de son
temps, il ordonna quatre rabbins, dont R. Joseph Caro (1489-1575), l’auteur
du Shoul’han Aroukh[24].
Or, du fait que nombre de sages s’insurgèrent contre cette
réinstauration[25],
cette tentative échoua. C’est pourquoi, même si de nos jours on continue d’ordonner,
la Semikha ne donne plus de réel
pouvoir d’autorité, elle garde uniquement une dimension symbolique, permettant
de juger les affaires courantes. Ainsi, aujourd’hui, plus aucun tribunal religieux
n’a de pouvoir de juger ni les affaires criminelles[26], ni
même infliger des condamnations pécuniaires[27].
Sachant en effet que le peuple juif n’aura plus ni les moyens ni les
conditions d’appliquer la plupart des lois pénales du Judaïsme, le fait d’avoir
aboli le pouvoir religieux a permis au peuple juif de s’adapter aux lois du
pays, où ils se trouvaient, conformément au principe halakhique de « dina
demalkhouta dina » – « la loi du pays vaut la loi de la Torah » (Guitin
10, b). Règle qui a fait l’unanimité dans toute la législation rabbinique.
Par conséquent, toutes
volontés de vouloir changer la donne est non seulement vouée à l’échec, mais
présente en plus un danger évident, et du point de vue de la législation du
pays, et du point de vue de la structure même du Judaïsme. Ce qui justifie
encore plus la volonté des sages
d’anticiper la fin du pouvoir politique afin de n’appliquer, au nom de la Halakha, plus aucune sentence relative à
la peine capitale et autres châtiments corporels.
Un des grands décisionnaires du Moyen-Âge, R. Aharon Halévi (mort vers
1300), le confirme, dans un texte publié dans les responsa (Bessamim rosh[28]
note 212), voici ce que nous lisons :
Il faut rendre grâce
à Dieu d'avoir suscité dans le cœur des sages d'Israël, des temps anciens, l'initiative d'abolir les sentences
relatives aux châtiments corporels et
aux affaires financières, et encore plus
pour avoir annulé les condamnations à mort. Par nos grands
péchés nous avons entièrement pervertie les voies de la Torah ainsi que nos capacités de produire un jugement juste.
Nous ne faisons que tâtonner, ça et là, comme des aveugles, au point que même
les plus grands, parmi les sages d'Israël, pourtant d'une large sagesse de
cœur, ne sont plus capables de rendre
une décision claire et limpide.
Convaincus d'avoir trouvé, sans le moindre doute, la
solution adéquat, finissent par admettre, après un certains temps, leurs erreurs. Reconnaissant ainsi
qu'ils auraient du tenir des conclusions contraires à ce qu'ils ont conclu. […]
C'est comme ça que chacun, parmi les étudiants ou leurs maîtres, légifère en
fonction de ce qui lui vient à l'esprit [sans tenir compte d'autres sources
pouvant le contredire].
Il n'existe plus
de pouvoir central et d'autorité en Israël pouvant nommer des juges [afin de
vérifier l'authenticité de la décision de chaque tribunal au regard de la loi].
On trouve même, en certains endroits, des membres du tribunal rabbinique avec
l'esprit si tordu et si déformé, que si, à Dieu ne plaise, on pratiquait encore
de nos jours les sentences, chacun aurait
le loisir d'appliquer les châtiments selon son bon vouloir, [y compris en
prenant des décisions contraires à la Halakha].
6.
La logique
des extrémistes
À mon avis c’est donc ici
qu’il faut cerner les dérives des extrémistes. Maintenant que l’État d’Israël
existe, et que selon cette logique, le peuple juif n’est pratiquement plus
soumis aux jougs des Nations, il n’y a plus aucune raison d’en rester à la Halakha telle qu’elle a été définie à
partir d’une logique diasporique. C’est ainsi qu’il s’agit pour eux de chercher
par tous les moyens possibles de rétablir la royauté des temps bibliques en
Israël, afin de remettre au gout du jour la législation religieuse qui était
alors en vigueur, et de réappliquer toutes les sentences de la Torah du temps
du roi David.
Certes de tout temps les juifs
ont espéré en la venue du Messie et donc au retour de la souveraineté
davidique, par conséquent, l’idée qu’un jour le Sanhédrin puisse être réinstauré
n’est pas étrangère au sentiment juif.
Mais ceci est de tout temps
resté du domaine de la foi. Même après la création de l’État d’Israël, tout le
monde s’accordait pour dire que le fait que le peuple juif y vive n’est pas
suffisant pour déterminer la délivrance annoncée par les prophètes. Il faut que
le Messie vienne, réinstaure le Sanhédrin,
garant de la souveraineté religieuse, il aura aussi en charge d’ordonner ses
membres[29], de reconstruise
le Temple afin de rétablir les commandements de la Torah, tels qu’ils étaient
pratiqués à l’époque[30].
Toute cette réflexion montre,
si besoin est, à quel point les rabbins ont été vigilants afin d’éviter toutes
possibilité de réinstauration du pouvoir politique. Une connaissance minime de
l’histoire juive et de son évolution suffit à rendre compte du bien fondé de la
démarche. Or, Il est certain que le point qui motive les terroristes d’agir est
suscitée par l’idéologie, de plus en plus affirmée, selon laquelle maintenant
que le peuple juif jouit de sa souveraineté politique, le pouvoir de l’État
doit se substituer à la norme halakhique
telle qu’elle a été établie depuis la diaspora. Inutile de gloser sur le danger
d’une telle entreprise, non seulement pour la stabilité de la région, mais en
plus pour la survie même du peuple juif.
À l’évidence, il y a donc dans
cette banalisation de la violence, légitimée au nom de la Torah, un
glissement vers une toute autre conception du Judaïsme en rupture totale avec la
norme halakhique, telle qu’elle a été
fixée par les sages depuis la Mishna et le Talmud.
Ceux qui projettent, en opposition
totale avec la Halakha, de
reconstruire le Temple, partagent la même idéologie que ceux qui en son temps avaient
accusé Rabin de mosser[31], soutenant ainsi son criminel, appuyés par
certaines instances rabbiniques, ou encore les terroristes qui ont commis les
actes de ces derniers jours. Sans parler de ceux qui commettent des violences
récurrentes à l’endroit des Palestiniens[32], que
ce soit par des crimes ou par l’élargissement des colonies, à l’encontre des
résolutions de l’ONU, et par conséquent contraire à la Halakha. Tel que nous l’avons démontré ailleurs, après que les
guerres de conquêtes ont été abolies le retour en Israël ne peut se faire, d’un
point de vue halakhique qu’avec
l’accord des Nations du monde. C’était le cas au retour des exilés de Babylone,
qui n’ont pu reconstruire le second Temple, vers -515, qu’avec l’accord du Roi
Cyrus[33].
Un article sur internet rapporte les propos d’un certain Gopstein,
dirigeant du groupe radical juif, qui pour justifier le fait de brûler des
Églises aurait affirmé ceci :
« La loi est simple,
l’interprétation de Maïmonide est que l’on doit brûler l’idolâtrie. Il n’y a
pas un seul rabbin qui peut contester ce fait. Je pense que le gouvernement d’Israël doit l’appliquer ».
Cette phrase illustre à elle seule tout mon propos. Puisque Maïmonide
déclare les Chrétiens idolâtres, et que la loi de la Torah, qui était en
vigueur à l’époque, préconisait de détruire les idoles d’Israël, qu’aucun
rabbin, affirme Gopstein, ne peut contester ce fait, le gouvernement d’Israël, fondé du pouvoir religieux de l’époque du
Temple, doit donc l’appliquer. Le dirigeant du groupe radical juif occulte sciemment
les restrictions halakhiques imposées
par les sages rendant impossible de mettre de nos jours ces lois en applications.
Nous avons certes démontré
ailleurs que la position de Maïmonide quant au statut des Chrétiens n’est pas
évidente[34],
que quoi qu’il en soit, en revanche, de son point de vue sur la question, il est
loin d’avoir fait l’unanimité, puisqu’il n’a été suivi par quasiment aucun
autre décisionnaire[35]. Mais
même si nous admettions qu’une telle lecture de Maïmonide, qui considère les
chrétiens comme idolâtres, est indiscutable, il n’est jamais venu à l’esprit de
quiconque d’appliquer concrètement aux
Chrétiens d’aujourd’hui le même traitement qu’aux idolâtres du temps des Rois
d’Israël. Au contraire, de nos jours la jurisprudence rabbinique en ce domaine
est constante, elle impose aux juifs d’avoir avec les païens idolâtres les
mêmes rapports sociaux qu’avec n’importe quel juif, ceci entres autres pour
favoriser les voies de la paix sociale[36].
Puisque nous l’avons dit de
nos jours le peuple juif n’a plus le pouvoir d’appliquer les sentences de la
Torah. Quelle que soit notre lecture des textes, toute velléité de vouloir
réhabiliter les sentences bibliques à l’endroit des idolâtres ou même des
pécheurs d’Israël, relève d’un autre interdit établi depuis le Talmud qui est
celui de provoquer les Nations[37].
Or, dans la logique de ses
extrémistes il suffit d’estimer que l’État d’Israël actuel est fondé pour se substituer à la souveraineté juive, pour
justifier à la fois les guerres contre les idolâtres, mais aussi pour engager
des nouvelles guerres de conquêtes jusqu’à ré-annexer l’intégralité du
territoires du Grand Israël biblique.
On comprend que, dans un tel contexte, rien ne pourrait alors freiner ses fous de
Dieu d’agir en conséquence.
7.
Du danger
du nationalisme juif
Après l’émergence du sionisme
on sait combien la plupart des courants religieux y étaient hostiles. Dans mon
livre, Israël Palestine, la paix à la
lumière de la Torah, après avoir fait une brève recension des différents
courants religieux dans leur rapport avec le sionisme, je rapporte le
témoignage poignant d’un des plus illustres rabbins d’Europe de l’Est, R. Issakhar
Shelomo Teichtal (1888-1944), déporté
et assassiné à Auschwitz.
En dépit de son appartenance
à un courant de pensée très proche de celui des Netourei Karta, donc antisioniste, Teichtal prit conscience, à la
fin de la Seconde Guerre mondiale, de la tragédie que vivait le peuple juif
partout en Europe. Alors qu’il tentait d’échapper aux nazis, Il écrivit, un
ouvrage intitulé Em habanim semé’ha (Mère heureuse en ses enfants), dans
lequel il encourageait la création de l’État d’Israël.
Ce rabbin, pourtant de la pure
orthodoxie, est devenu l’une des principales références du sionisme religieux.
Il n’en demeure pas moins qu’il avait conscience des dangers que le
nationalisme pourrait provoquer suite à un engouement trop extrême pour les
thèses sionistes au nom de la Torah. C’est ainsi que nous pouvons lire dans son
livre :
La réalité de notre peuple [d’Israël] ne repose pas
uniquement sur une idée nationaliste, comme sont représentées les autres
nations de la terre, mais repose bien davantage sur la Torah, c’est par elle
qu’il nous est possible de nous définir comme peuple. C’est donc à raison que
le Sage des Arabes (Mohamed) nous qualifie de « peuple du livre », et que d’autres Sages parmi les nations
nous appellent « peuple de
l’esprit ». Par conséquent, il est faux de croire qu’il nous est
suffisant d’exister à partir du principe de nationalité, une telle affirmation
n’a strictement aucune réalité pour nous, et ne peut que réduire la véritable
dimension du peuple juif.
(Em Habanim Semekha p. 63)
Même le Rav Kook dans sa
conception religieuse du sionisme, portait davantage une approche humaniste et
accueillante, aussi avec les non-juifs, sans aucune comparaison avec ce que font
ses fous dévots de ses enseignements.
7.
Enjeux de
la pérennité de l’existence juive
Remettre en question cette
notion de la fin de la souveraineté juive et revenir de fait sur toute la
législation rabbinique qui en découle depuis au moins l’époque de la Mishna, n’est
pas seulement anecdotique. Au-delà du danger évident de laisser prospérer un
tel discours, l’idéologie sous jacente des extrémistes est non seulement dangereuse
pour la relative stabilité de la région, mais en plus risque de s’avérer fatale
pour toute l’existence juive.
Sans l’initiative, de R.
Yohanan b. Zaccaï, qui nous l’avons dit, avait préféré renoncer à Jérusalem et au Temple au profit de la
ville de Yavneh pour y fonder l’académie des sages, il n’y aurait plus
eu de peuple juif. À cette époque il
a fallu, en effet, user d’une inventivité sans faille pour que le Judaïsme ne
s’effondre pas dans les méandres de l’Histoire. Aussi, le fait de nos jours de
vouloir changer la donne, sans même tenir compte des enjeux et de la complexité
de ce genre d’évolution, risque à terme de subordonner toute l’existence juive
à cette nouvelle réalité nationaliste.
C’est pourquoi à mon sens il
n’est pas uniquement question ici de terroristes criminels mais d’une idéologie
profonde capable de produire un schisme
au sein du peuple juif. D’un côté ceux qui admettent la norme rabbinique
actuelle et qui, d’une certaine manière, même s’ils aspirent aux temps
messianiques, jouent le jeu de la modernité, et de l’autre ceux qui
instrumentalisent une situation avant tout séculière
à des fins de changer radicalement la norme du Judaïsme.
Il y a peut-être d’une manière
pas toute à fait consciente une confrontation entre deux paradigmes totalement
opposés qui font question quant à la structure même du Judaïsme. Est-il inviter
à s’inscrire dans la logique de l’Histoire au côté des autres nations du monde
afin d’y apporter sa pierre à l’édifice de l’humanité, ou doit-il se confiner dans
un particularisme, et se réduire à une vulgaire conception nationaliste, balayant
d’un revers de mains tout ce que le Judaïsme a pu apporter au monde ?
Sans rentrer dans le débat de fond sionisme/antisionisme en lien avec
le religieux ou le politique, aucune raison rationnelle, ne peut nous certifier
de la réalité immuable de l’État d’Israël. Que ce soit les mouvements des
populations, le danger qui guette ce petit État de part en part, la montée de
l’Islamisme etc…, en incluant aussi la radicalisation politique de l’État
Hébreu. Sans être alarmiste outre mesure, nous sommes en droit de nous
interroger sur ce qui pourrait nous convaincre quant à l’impossibilité qu’un
jour cet État cesse d’exister. Que ce soit le fait d’une conjoncture
démographique défavorable au peuple juif, ou par des guerres, ce qui serait
beaucoup plus tragique.
Par conséquent, aussi longtemps que le peuple juif, tout en acceptant
la sécularisation, continue d’assurer ses arrières en reconnaissant à l’existence juive une conception
bien plus large que celle d’un vulgaire nationalisme, sous couvert d’idéologie
religieuse, il y a non seulement une chance de survit pour le peuple juif, mais
cette ouverture permettra en outre d’assurer un avenir plus serein à l’État
d’Israël. Je crains qu’à l’allure où vont les choses, plus Israël continuera de
s’isoler dans un nationalisme radical plus cette situation risquera de
s’empirer jusqu’à devenir la norme du
peuple juif.
Hervé élie Bokobza
[1]
Cf. Maïmonide traité des Huit
chapitres, chapitre VI, sujet longuement traité ailleurs.
[2]
Cf. Hannah Arendt in Eichmann à
Jérusalem (Folio 2007 p. 256 sq.).
[3]
À ce sujet cf. Michel Onfray in « Le songe d’Eichmann » (Ed. Galilée
2008), dans lequel il réfute l’argument d’Arendt pour qui Eichmann aurait rien
compris à la pensée du philosophe. Rappelons toutefois que, contrairement à ce
que dit Onfray, Hannah Arendt n’est pas si catégorique lorsqu’elle affirme
qu’Eichmann n’aurait rien compris à Kant, vue qu’elle-même précise qu’à la
stupéfaction générale Eichmann produisit, lors de son procès, une définition
approximative, mais correcte, de l’impératif catégorique :
« Je voulais dire à propos de Kant, que le principe de ma volonté doit
toujours être tel qu’il puisse devenir le principe des lois générales. ».
Sujet traité plus longuement ailleurs.
[4]
J’ai longuement traité de cette question dans la première partie du livre « L’Autre l’image de l’étranger dans le
Judaïsme » (L’Œuvre 2009).
[5]
Cf. Talmud (Sanhédrin 71, a) : « Les lois du fils rebelle et de la
ville séduite, n’ont jamais été et ne le seront jamais [du fait de leurs
conditions d’applications]. Pourquoi alors la Torah nous les a-t-elle
imposées ? Afin de te donner le mérite d’en étudier leurs
principes ».
[6]
À ce sujet je renvoie les lecteurs à mon livre L’Autre l’image de l’étranger dans le Judaïsme L’Œuvre spirituelle
(2009) à partir de la page 279. Même si je n’avais pas connaissance de cet
ouvrage au moment où j’ai rédigé mon livre.
[7]
Cette
idée est déjà dans la Bible voir les versets de Jérémie (29, 4-7). Sur tout ce
sujet je vous renvoie à la dernière partie de mon livre « L'autre, l'image
de l'étranger dans le Judaïsme » op-cit ;
« Judaïsme et citoyenneté ».
[8]
Sur les 613 commandements à peine plus de 200 sont encore en vigueur.
[9]
Cf. Maïmonide Mishneh Torah (lois des Rois chapitre 5).
[10]
Cf. entre autres, R. Moshé Feinstein
(1895-1986) in Igrot Moshé (Hoshen
Mishpat Vol. II, chap.78) qui
démontre que les guerres de conquêtes ainsi que celles contre les Amalécites
ont été abolies à la destruction du premier Temple. L’auteur conclut :
« Ce sujet est d’une telle évidence
qu’il est inutile de le remettre en cause ». Cf. HeB, « Israël
Palestine la paix à la lumière de la Torah » L’Œuvre 2008, (dans la partie relative aux guerres de nos jours,
II, 3) op-cit.
[11]
« Des descendants d’Aman [lui-même
descendant des Amalécites], affirme le Talmud, ont étudié la Torah en la ville
de Bené Brak » (Guitin 57, b), C’est aussi la cas d’Antonin
descendant des Amalécites et qui pourtant avait part au monde qui vient (Avoda Zara 10, b, cf. Sefer ha-Hinoukh Commandement 425).
[12]
Rois d’Assyrie de l’époque biblique (environ VIIe siècle A.V. J.C), mentionné
dans le chapitre 18 du second livre des Rois.
[13]
Cf. Mishna (Yadaïm 4,
4), Tossafta (Kedoushin 5, 6), Talmud, (Berachot 28, a), (Yébamot 78, a), (Sota 9, a) et les commentaires des Tossafot. R. Joseph Bavad (1801-1874), dans son fameux Minhat Hinoukh mentionne cet argument au
sujet des Amalécites pour attester de la caducité du commandement de les
anéantir (604, 5).
[14]
Notons que selon Maïmonide (Mishneh Torah
Lois des rois 1, 1), s’appuyant sur le Talmud (Sanhédrin 20, b), le commandement de détruire le peuple des
Amalécites est subordonné à celui de nommer un Roi. Selon cette lecture on
pourrait dire que ce commandement ne s’impose pas aux individus mais à
l’ensemble du peuple, en présence d’un roi en Israël. Tandis que plus loin
(lois des Rois, 5, 4), au sujet des sept nations, Maïmonide affirme cependant
que cette injonction s’impose aussi à chaque individu. (Rien ne permet a priori
de distinguer ce commandement avec celui de tuer les Amalécites). C’est aussi
ce qu’affirme le Sefer ha-Hinoukh que
même si cette mitsva s’impose d’abord
à l’ensemble du peuple, ça ne dispense pas pour autant chaque individu de
l’accomplir, s’il en a les moyens sans se
mettre en danger.
Tout se passe comme si ce commandement se déclinait en
deux axes : le premier collectif qui concerne l’ensemble du peuple, à
l’instar des guerres de Mitsva,
(imposées par la Torah) qui elles ne sont plus applicables de nos jours, et le
second individuel et dans lequel chaque individu s’il se trouve dans la
situation à l’obligation d’accomplir ce commandement.
Cette explication permet de lever la question du Minhat Hinoukh sur la sauvegarde de la
vie humaine et le commandement de faire la guerre. S’il s’agit en effet d’un
commandement collectif qui répond à une logique de guerre, nous ne pouvons
prétendre qu’elle soit repoussée au nom du principe de « pikoa’h nefesh » – de la sauvegarde
de la vie –, s’agissant d’une guerre il est logique qu’elle constitue un cas de
danger de mort. S’il s’agit, en revanche, d’une injonction individuelle, il est
normal qu’elle puisse ne pas s’imposer en cas de danger de mort, comme l’écrit
le Hinoukh. Je viens de voir que les
notes du Minhat Hinoukh des Éditions Makhon Yéroushalaïm (Jérusalem 1991)
rapportent a peu près ce même argument au nom de R. Itzhak Zeev de Brisk (1886-1960),
dans son commentaire sur la Torah, (Exode, section Béshalah), mais je n’ai plus l’ouvrage sous les yeux.
[15]
Ce qui vient d’être dit peut nous permettre de mieux cerner la personnalité de
R. Yohanan b. Zakaï. Bien qu’il était le plus jeune des élèves de Hillel le
Nassi (président de l’académie des sages), il n'en était pas pour autant le
moins important puisque c’est lui qui le succéda. (Cf. Talmud Souccah 28, b, Baba Batra 134, a, ainsi que les
commentaires de R. Joseph Caro, Cessef Mishneh,
sur le Mishneh Torah Lois de Mamérim 2, 1).
R. Yo’hana b. Zakaï vécut à l’époque de la destruction
du temple, il ressentait donc légitimement la responsabilité d’apporter un
renouveau à la vie juive et d’assurer la pérennité de sa tradition dans la
diaspora.
Cependant, le Temple représentait alors le symbole
fondamental du Judaïsme. Il fallait donc préparer le peuple à cette nouvelle
situation. Or, le renoncement de b. Zaccaï pour la ville Sainte, peut laisser
entendre un certain laxisme de sa
part, au regard de l’importance que pouvait représenter le Temple aux yeux des
juifs. C’est peut-être pour cette raison qu’il instaura certaines règles, après
la destruction du Temple, visant le but de sauvegarder sa mémoire et de
renforcer la foi juive en sa reconstruction (Cf. entre autres Mishna, (Roch
Hachana 4, 1-4, ainsi que d’autres sources).
Il faut voir dans les intentions du fondateur de
l’académie de Yavneh, un moyen de donner peu à peu un sens à la vie juive en
dehors du temple de Jérusalem.
[16]
Cf. Maïmonide, Mishneh Torah, (Lois de Sanhédrin
14, 11-14).
[17]
Maïmonide précise en effet que si le Beth-Din
(tribunal) n’applique pas la sentence, dans le cas où celle-ci doit être
appliquée, il se rend coupable d’avoir délaissé un commandement positif de la
Torah (Mishneh Torah Idem lois 3).
Notons que R. Moshé b. Nahman, Nahmanide (1197-1263), inclue parmi les 248
commandements positifs de la Torah celui qui nous a enjoint de ne pas avoir
« pitié » du condamné à mort, pour le soustraire de sa peine. Voir
ses recensions des commandements que Maïmonide a selon lui oublié de compter,
dans sa nomenclature des 613 commandements de la Torah (mitsva 13, publié à la fin du livre des commandements de
Maïmonide).
[18]
Misnneh Torah (Lois de Sanhédrin 1,
3).
[19]
À ce sujet je renvoie les lecteurs entres autres aux écrits du Rabbi de
Loubavitch (1902-1994) publié dans ses recueils de textes halakhiques Shoulhan Menahem (Vol 7, 8-9).
[20]
On voit bien que les rabbins ont tout de même obtenu, par des voies
démocratiques, la mainmise sur un certains nombre de dossiers, dont l’état
civil. Il demeure qu’ils ne leur aient jamais venu à l’esprit d’user de ces
mêmes voies pour réhabiliter le pouvoir central du Judaïsme tel qu’il était au
temps de la souveraineté juive.
[21]
Projet qui aurait pourtant son utilité, au moins pour répondre aux défis de la
modernité. Question qui pour le coup devient paradoxale. Disons qu’elle
ouvrirait une boite de pandore qui risquerait de dévier du but escompté.
[23] Voir son commentaire sur la Mishna, premier chapitre de Sanhédrin. Notons qu’il s’agissait
uniquement pour Maïmonide que les tribunaux puissent juger les condamnations
pécuniaires, absolument pas de leur octroyer le pouvoir de juger les affaires
criminelles, comme l’écrit R. Lévi b. Habib le Maharalbah (1480-1541) dans son Kountrass ha-Semikha.
[24]
Code le plus répandu de La loi juive applicable en diaspora, ouvrage qui fait
autorité encore de nos jours. Pour la petite histoire, notons qu’on a surnommé
l’auteur « Maran »,
littéralement « Maître », acrostiche, en hébreu, de la phrase
« deux cents rabbins l’ont ordonné ».
[25]
Entre autres, R. Lévi b. Habib le
Maharalbah (1480-1541), R. David b. Zimra le Radbaz (1479-1573).
[26]
Mishneh Torah (Idem 14, 11).
[27]
Le fait qu’on ait dit que tout Tribunal Rabbinique de nos jours agit en vertu
du pouvoir transmis par les anciens, comme s’il était leur émissaire (Guitin 85, b), cela ne vient pas leur
donner un pouvoir comparable aux Sanhédrin, mais vient juste légitimer leur autorité,
au moins pour les questions pouvant être jugées de nos jours. Comme par exemple
les litiges financiers à condition de ne pas imposer de condamnations
pécuniaires. Comme le précise Maïmonide (Mishneh
Torah (Lois de Sanhédrin 5, 8), voir aussi Joseph Caro, Shoulhan Aroukh au début de la section Hoshen Mishpat).
[28] Ouvrage publié par R. Isaac Di de Vilna
(Vilnius) au XVIe siècle et qui regroupe des Responsa de Rabbins médiévaux principalement ceux de R. Asher
(1250-1327), le Rosh. Bien qu'il y ait des doutes sur l'authenticité de
l'ouvrage, R. ‘Haïm Joseph David Azoulay, le ‘Hida (1724-1806), dans son livre Shem ha-Guedolim, (Nom des grands), l'authentifie
après que R. Saül b. Tsvi Hirsh de Berlin (Allemagne) l'ait republié en 1793, l’épurant,
après de longues recherches, de toutes falsifications pouvant remettre en
question l'authenticité du contenu du livre.
[29]
Mishneh Torah (Lois des Rois 11, 4).
Reste à savoir comment le Messie pourra-t-il ordonner, si la transmission de la
Semikha n’existe plus ? L’éventuelle
solution préconisée par Maïmonide que tous les rabbins d’Israël s’accordent à
l’unanimité de rétablir la Semikha,
est loin d’être à l’ordre du jour. Notons au passage que selon R. David b.
Zimra, le Radbaz, le prophète Élie, qui, d’après la Tradition devra annoncer la
venue du Messie, pourrait bien ordonner le Messie, pour qu’à son tour il
ordonne les membres du Sanhédrin. (Cf.
ses commentaires sur le Mishneh Torah,
(lois de Sanhédrin 4, 11-12)).
[30]
Mishneh Torah (Lois des Rois 11, 1), Cf. « Israël Palestine, la paix à la
lumière de la Torah » op-cit, p. 118 sq.
[31]
Litt. délateur, pour qui on doit
appliquer la loi du rodef, poursuivant.
Il est en effet autorisé de tuer une personne qui poursuit une autre pour la
tuer, au nom du principe de la légitime défense. Rabin ayant voulu collaborer
avec les ennemies d’Israël, il
devenait ainsi un danger pour le peuple juif, et devait en l’occurrence être
combattu y compris par les armes, sans même en passer par un jugement. (Cf. Talmud (Sanhédrin 72, b), Mishneh
Torah (lois du criminel 1, 6)).
[32]
Je ne mélange pas dans mon propos évidemment la question des représailles de
Tsahal faisant suite aux rockets lancées contre la population israélienne où là
c’est un tout autre débat.
[33]
Roi de Perse, représentant des nations de l’époque. Cyrus avait alors donné son
accord au prophète Jérémie pour que le peuple d’Israël puisse revenir sur sa
terre après y avoir été chassé à l’époque de Nabuchodonosor. Voir Néh (2, 4-8),
et Esd Ezra (2, 18) : « Ils
achevèrent la construction sur l’ordre du Dieu d’Israël et de Cyrus. ». Cf. « Israël Palestine la paix à la lumière de la Torah » op-cit, en plusieurs endroits du livre entre autres Annexe I.
[34]
Cf. L’Autre l’image de l’étranger dans le judaïsme op-cit à partir de
la p. 254, où je démontre que même selon Rambam les chrétiens ne sont pas
idolâtres. Cf. également mon texte
sur la Trinité d’un point de vue halakhique,
à paraître.
[35]
Cf. L’Autre op-cit p. 257 sq, au sujet de l’opinion de Rabbenou
Tam, petit fils de Rachi, (rapportée entre autre dans les Tossafot (Sanhédrin 63, b) et d’autres
sources.
[36]
Mishneh Torah (lois des Rois 10, 12).
Cf. L’Autre op-cit, à partir de la p.
277.
[37]
Cf. Ketoubot (111, a) et d’autres sources.