mardi 18 août 2015

Violence juive






Violence juive

« Dieu ne saurait désirer la destruction de l’humanité, et ne donnera jamais l’ordre de tuer des êtres humains. »
R. Joseph Albo (1380-1444) –  (Sefer haïkarim  III, 14)

« Il est effroyable que la seule valeur qui nous reste soit celle du coup de poing juif. »
Y. Leibowitz

Entrée en matière


Les événements tragiques de ces derniers jours ont mis en évidence que le peuple juif n’est pas plus à l’abri qu'un autre d’extrémistes capables d’instrumentaliser le judaïsme à des fins terroristes et criminels. Au vu de certains articles et réactions que j’aie pu lire sur le sujet il me paraît important d’expliquer quelques notions afin d’éviter des contresens faciles.

Prenons tout d’abord acte que la Torah contient nombre de textes d’une extrême violence, que ce soit dans ses récits mais aussi dans sa législation. Cette violence se retrouve dans toutes les catégories des textes, bibliques ou rabbiniques.

Par conséquent, de même qu’il est impensable d’affirmer que les crimes de Daesh ne relèvent pas de l'Islam, il est intolérable à l’esprit et totalement irresponsable que de prétendre que ceux commis, au nom de la Torah, n'ont rien à voir avec le Judaïsme. Rien ne permet d’affirmer que le discours de ces extrémistes fait moins partie du Judaïsme, qu’un discours humaniste et ouvert à l’autre. Quand bien même nous démontrerons les erreurs grossières que commettent les partisans de ce discours violent, nous contenter d’une argumentation aussi limpide soit-elle ne suffit pas à disqualifier le discours opposé de leur prétention d’agir au nom des textes.

Avant de poursuivre levons tout de suite un malentendu : Il va sans dire que la présence de textes violents, en vigueurs ou non, n’ont aucune légitimité à excuser ou même à « relativiser » ces crimes monstrueux. En effet, quelles qu’en soient nos lectures, la question n'est pas de savoir si les textes les justifient ou non, mais de les considérer légitimes pour dicter nos consciences[1].

1.
De  l’instrumentalisation des textes violents de la Torah

Tout texte quel qu’il soit a pu être instrumentalisé pour justifier les pires violences. Pour ne citer qu’un exemple, rappelons qu’Eichmann lui-même aurait déclaré, lors de son procès à Jérusalem, avoir vécu toute sa vie selon les préceptes moraux de Kant, et particulièrement selon la définition kantienne du devoir. Ainsi il affirma s’être appuyé sur l’impératif kantien pour justifier sa collaboration à la solution finale[2]. Cela signifie que le philosophe de la morale et de l’humanisme, contient dans son discours des éléments permettant un glissement vers une justification du IIIe Reich ! Quand bien même Hannah Arendt fait remarquer qu’Eichmann a mal compris l’impératif kantien. Ainsi, sans dénoncer les intentions de l’auteur de la Critique de la raison pratique[3], nous ne pouvons affirmer que la pensée même du philosophe ne permet pas de telles dérives.

Le Judaïsme n’est pas plus à l’abri d’un tel glissement, le Talmud nous en avait déjà mis en garde :

« Sages, soyez vigilant dans vos propos ; car vous pourriez être condamnés à l’exil et expulsés dans un endroit où les eaux sont souillées ; les disciples qui vous suivent pourraient alors en boire et mourir, et le Nom céleste s’en trouverait profané. »
(Avot 1, 11)

En réaction à un texte virulent de Simone Weil, contre la violence manifeste de l’Ancien Testament, dans Difficile Liberté, Lévinas a produit un texte très significatif. Il ne remet pas en cause la dénonciation de la philosophe, bien au contraire, il dit même s’indigner avec elle. Ce qu’il lui reproche, en revanche, c’est le fait d’occulter sciemment l’apport de la Tradition Rabbinique en ce domaine, apport qui a largement permis sinon d’abolir cette violence au moins de l’atténuer. Ceci afin d’échapper à une littéralité primaire qui viendrait nous faire croire que le texte pourrait être à lui-seul l’indice d’une prétendue violence intrinsèque au Judaïsme et donc aux juifs eux-mêmes. C’est ainsi qu’il écrit :

La dure loi de l’Ancien Testament n’est peut-être pas une doctrine de douceur – qu’importe, si c’est une école de douceur. Il ne s’agit pas de la justifier par son succès. Mais il est probablement dans la nature de l’esprit qu’un Dieu sévère et un homme libre préparent un ordre humain meilleur qu’une bonté infinie pour un homme mauvais. Seul un Dieu qui maintient le principe de la Loi peut pratiquement en adoucir la rigueur et dépasser dans une loi orale l’inéluctable dureté de l’Écriture
Emmanuel Lévinas (Difficile liberté, p. 185)

Si ce texte édifiant de Lévinas a au moins le mérite de montrer l’intérêt de l’interprétation rabbinique, sachant que la violence, que lui-même déplore, reste présente dans les textes personne n’est à l’abri d’un tel glissement.

Maïmonide résume cette même idée, au sujet de savoir qui, d’entre la sauvegarde de la vie humaine et la pratique du shabbat, doit être privilégié :

« L’homme qui pratique [les lois de la Torah] obtient par elles la vie » (Lv 18, 5) : « Tu en retires que les lois de la Torah ne sont pas une vengeance, mais sont miséricorde, générosité et paix pour le monde. Quant à ces hérétiques qui prétendent qu’il est interdit de transgresser le shabbat même en cas de danger pour la vie, le verset dit à leur sujet : “Et moi aussi je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons, et des jugements par lesquels ils ne pourront vivre” (Ez 20, 25) »
(Mishneh Torah, lois de Shabbat 2, 3)

Maïmonide pose donc en principe que les critères qui fondent que la loi divine est une loi de miséricorde et de paix, ou au contraire une loi cruelle, relèvent uniquement du regard que porte l'homme, à partir de sa propre conscience, du texte religieux. Les uns diront que la vie humaine à priorité devant l'observance du shabbat, et les autres que la vie est secondaire. Tous deux s'appuient toutefois sur un même texte. Ainsi que nous l’avons vu, les textes eux-mêmes peuvent autant démontrer une justification de ces crimes odieux que de les condamner, je dis souvent avoir bien plus peur des lecteurs que des livres.

Aussi il convient, avant de nous démarquer de ce genre de discours, de cerner précisément où se situe le mécanisme dialectique pouvant justifier ou invalider une telle violence au nom de la Torah.

2.
À propos des textes religieux violents

Venons-en maintenant au fond du problème. Admettons un instant que les antagonistes du discours ; d’un côté ceux qui brandissent la Torah pour justifier leur humanisme et qui, à raison, condamnent ces crimes, et de l’autre ces terroristes qui, au contraire, légitiment leurs actes monstrueux, s’appuient sur un même texte, comment dès lors se positionner ? Si l’on s’en tient à une lecture qui se veut la plus objective et la plus rigoureuse possible, comment à la fois désigner les textes qui ont permis ce genre de dérives, et en même temps démonter le mécanisme idéologique qui permet de les instrumentaliser à des fins meurtrières ?

Nous l’avons dit la Torah elle même justifie des attitudes extrêmement violentes, à la fois au niveau des sentences qu’elle prévoit sur certaines transgressions, mais aussi à l’endroit de certains peuples, considérées comme ennemis d’Israël, et dont les mœurs étaient aux antipodes des valeurs monothéistes[4]. Le seul mérite de la Tradition rabbinique, n’a pas été, loin s’en faut, d’abroger ces lois, mais de rendre les conditions d’application plus difficile, voir parfois impossible[5].

Ainsi, pour prendre l’exemple des événements de ces derniers jours, à partir de quels éléments pouvons-nous donc démontrer que l’attitude de ce terroriste qui a poignardé des participants à la dernière gay-pride en Israël, a agi à l’encontre de la Halakha ? Sachant que la Torah qualifie l’homosexualité « d’abomination » et condamne celui qui la pratique à la lapidation. Ou encore ceux qui justifient de brûler des Églises au nom du fait que Maïmonide tiendrait les chrétiens pour idolâtres. Ainsi que cet autre terroriste juif qui a brûlé une maison palestinienne à Naplouse tuant un nourrisson, et son père qui succomba à ses blessures. La liste n’est malheureusement pas exhaustive. Là encore ces extrémistes juifs qui font l’apologie de ce crime barbare, brandissent entres autres ce passage du Talmud qui affirme : « Celui qui vient pour te tuer, lève-toi et tue-le » (Yoma 85, b). Et puisque selon leur logique tout Palestinien est un potentiel criminel et n’a d’autre motivation que de tuer des juifs, le fait de les combattre par les armes anticipe leur propre crime.

La méthode dite de statistiques, principalement utilisée avec le Coran, qui permet de recenser les versets pacifiques, et de montrer qu’ils sont bien plus nombreux que les versets belliqueux, n’est pas convaincante, et encore moins s’agissant du Judaïsme. En effet, sans dénigrer la démarche de la critique biblique qui consiste à relever les points de contradictions du texte, afin d’en dégager d’éventuelles couches de lectures, une telle approche n’a aucune pertinence pour comprendre la logique talmudique. Les sages du Talmud ne connaissaient pas la critique biblique, ils ne pouvaient se contenter d’une telle démarche. Au contraire, leur premier souci était de maintenir une cohérence globale de l’ensemble de ces versets, en dépit de leur apparente contradiction.

Le fameux « tu ne tueras point » du décalogue, par exemple – au demeurant mal traduit, et qu’il conviendrait de traduire par « tu n’assassineras point » – ne peut invalider la peine capitale, prévu par la Torah. Au contraire, c’est parce que la Torah interdit le crime, qu’un criminel est condamné à mort. Par conséquent, à la fois le « tu ne tueras point » ainsi que les versets qui condamnent à mort le criminel se justifient mutuellement.

Récemment a été publié un pamphlet intitulé « la Torah du Roi ». Cet ouvrage, qui a fait scandale, a été certes interdit en Israël, mais vendu sous le manteau. Il a été rédigé par des « érudits » capables de démontrer que rien dans la Torah n’interdisait, dans le contexte actuel, de tuer les Palestiniens ! Je n’aurais pas ici la place de démonter point par point les arguments que j’ai pu lire (sur internet) tirés de ce pamphlet[6], sinon pour démontrer non pas l’invalidité des thèses avancées, mais l’impossibilité de les mettre en pratique de nos jours d’un point de vue halakhique.

En effet, la démarche de se lancer dans une casuistique, afin de démonter par l’art du pilpoul le contraire de leurs arguments ma paraît peu convaincante. Sachant que mes contradicteurs pourraient à leur tour jouer de cette même dialectique. Il me paraît bien préférable de montrer en quoi les conditions d’applications de ces versets bibliques, tout comme la législation rabbinique qui en découle ne sont plus réunies de nos jours, et que par conséquent la Halakha ne saurait à notre époque cautionner de tels actes.

3.
Fin de la souveraineté juive et législation rabbinique

La fin de la souveraineté juive qui débutera en 586 av. J.C, avec l'exil de Babylone et la destruction du premier Temple, prendra fin au début de notre ère, vers 70, (destruction du second temple). La destruction de Jérusalem a contraint les juifs à repenser les fondements mêmes de leur législation. C’est ainsi qu’ils ont dû mettre un terme à toute forme de pouvoir politique, en sorte que les pratiques religieuses puissent continuer à faire sens malgré la diaspora. C'est comme ça que le Judaïsme s'est d'entrée de jeu inscrit dans la sphère privée, les lois relatives à la laïcité par exemple n'ont jamais posées de problèmes pour la Halakha[7].

Ainsi, le seul argument pouvant, à mon avis, être opposé à toute dérive justifiant la violence au nom de la Torah est de montrer que dès l’instant où le Judaïsme à cessé toute velléité de pouvoir politique sur le peuple juif, plus aucune instance rabbinique n’a d’autorité à appliquer les sentences de morts et les châtiments corporels prévus par la Torah.

On peut ici pointer la différence entre le Judaïsme de l’Islam. Sans être spécialiste de la question, sur le plan musulman, on peut dire, pour aller vite, que l’Islam n'a pas subi le même sort que le Judaïsme. Aucun événement majeur n'a provoqué en effet dans l'histoire des Musulmans de rupture avec leur propre tradition religieuse, depuis ses origines. Ainsi, à la différence du Judaïsme, aucune loi dans la religion musulmane n’a été abolie, du fait de conséquences historiques, tandis que de nos jours, toute la législation d’Israël relatives à la souveraineté juive, incluant celles liées au Temple, ont été rendus inapplicables[8]. C’est en ça que le peuple juif a pu perdurer à près de deux mille ans d’exil.

Sachant que la question risque d'être posée, il est préférable de l'anticiper : même s’il s’agissait d’un État religieux, l'État d'Israël (principalement laïc) n'a pas vocation à se substituer au Grand Sanhédrin de l'époque du Temple. Tel que je l’ai démontré ailleurs, toutes les lois de la Torah en rapport à la souveraineté juive et qui ont été abolies, n'ont jamais été rétablies même après la création d'un foyer juif en Palestine (cf. « Israël Palestine, la paix à la lumière de la Torah » II, chap. 2). C’est le cas notamment des guerres de Mitsva, incluant les guerres de conquêtes de la terre d’Israël, ainsi que l’injonction d’anéantir les sept nations et le peuple des Amalécites[9]. Toutes ces lois n’ont plus cours vue qu’elles sont dépendantes de la présence d’un roi en Israël et du Sanhédrin[10].  

Le cas des Amalécites, que la Torah ordonne d’anéantir, avec les sept peuples, du temps de Josué : « Efface la mémoire des Amalécites du dessous des cieux » (Dt 25, 19), non seulement ne s’appliquait pas à l’époque aux individus qui se seraient démarqués de la conduite de leur peuple[11], mais en plus s’avèrent inapplicable de nos jours, en aucune manière. En effet, les rabbins du temps de la Mishna avaient déjà statué que depuis que le Roi Sénacherib a mélangé les peuples[12], il est d’un point de vue halakhique impossible de déterminer qui est réellement descendant des Amalécites[13].

[Maïmonide, dans son Sefer ha-Mitsvot, livre de nomenclature des commandements de la Torah, précisera à son tour, que même si rien d’un point de vue de la structure de la Halakha ne permet d’affirmer que ces lois, relatives aux descendants des sept nations et de ceux des Amalécites, ne sont plus en vigueur, ces commandements ne peuvent plus concrètement être réalisés. Sachant en effet qu’ils ne se trouvent plus de nos jours des descendants de ces nations-là, les quelques minorités qui subsistent se sont déjà mélangées aux autres nations.

C’est ainsi que le Sefer ha-Hinoukh après avoir énoncé les détails de cette loi écrit : « Commandement applicable en tout lieu et en tout temps, s’il s’avère qu’il se trouve encore des descendants des Amalécites parmi nous » (Commandement 604)[14].]

On sait par exemple que si toutes tentatives de vouloir reconstruire le Temple de Jérusalem et de restaurer le Sanhédrin se sont avérées infructueuses, c'est avant tout du fait de l'opposition des juifs orthodoxes. C’est d’ailleurs l’argument essentiel de l’antisionisme religieux, il est en effet admis que seul le Messie sera habilité à rétablir le Sanhédrin de réinstaurer le pouvoir politique sur le terre d’Israël, et de reconstruire le Temple, comme l’écrit Maïmonide (Mishneh Torah lois des Rois 11, 1, et 4).

Il ne s’agit pas pour nous ici, loin s’en faut, de défendre le point de vue religieux antisioniste, sujet longuement abordé ailleurs, mais d’attester au contraire que toutes légitimités au sionisme et à l’État d’Israël ne valent que dans la mesure où les concepts sont séparés. Il ne s’agit pas de rejeter le sionisme, au nom de la Torah, comme le croient les antisionistes religieux, ou d’en choisir un au détriment de l’autre, comme sont tentés de le faire les laïcs en Israël, mais de vivre ces deux réalités en distinguant leur nature et surtout leur principe. À l’instar de ce que disait très justement Yéshayahou Leibowitz : « le sionisme n’a pas plus besoin du judaïsme pour être, que le judaïsme n’a besoin du sionisme pour exister ». Par conséquent, le problème n’est pas de savoir s’il faut soutenir ou non le sionisme, mais du risque d’instrumentaliser les textes religieux à des fins de propagandes pour justifier un sionisme radical.

4.
Processus voulu et anticipé par les sages

Une lecture attentive des textes montre que la fin de la souveraineté juive, même si elle est due aux conséquences de l’histoire, était un processus voulu et même anticipé par les sages.

Expliquons-nous : L’événement le plus significatif qui ouvre la voie à ce qu’on pourrait appelé le judaïsme diasporique, est en effet l’attitude de R. Yohanan b. Zaccaï, élève de Hillel, premier siècle et contemporain de la destruction du temple. B. Zaccaï préféra en effet renoncer à Jérusalem et au Temple au profit de la ville de Yavneh pour y fonder l’académie des sages (Guitin 56, b). Ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs le contexte historique ne laissait pas présager que la vie juive centrée autour du Temple, et donc avec un pouvoir politique religieux, pouvait encore être possible. Il fallait, en l’occurrence, anticiper les événements, afin d’offrir au judaïsme un renouveau en dehors de cette structure. C’est ce qui a permis la pérennité de la transmission orale de la Torah[15].

On peut aussi le démontrer à partir des circonstances de l’abolition de la peine de mort dans la loi rabbinique, abolie quelques quarante années avant la destruction du Temple. Voici comment le Talmud nous rapporte les conditions de son abolition :

« Quarante ans avant la destruction du Temple, le Sanhédrin qui siégeait à Jérusalem s’est exilé de sorte qu’il ne puisse plus juger les criminels. Du fait de la forte augmentation de la criminalité, les sages n’étaient plus en mesure de juger les condamnés à mort, c’est pourquoi ils ont préférés s’exiler de Jérusalem afin que la peine capitale ne soit plus pratiquée. »
(Avoda Zara 8, b)[16]

Essayons cependant de comprendre l’attitude des rabbins dans ce processus d’abolition. Il est vrai que le Talmud lui-même atteste d’une volonté des sages sinon d’abolir la peine capitale, au moins de la rendre le moins applicable possible. À l’instar de ce que la Mishna nous dit :

« Un Sanhédrin qui prononce plus d’une condamnation à mort tous les sept ans est considéré comme sanguinaire. Selon R. Eléazar b. Azarya en soixante-dix ans. R. Tarfon et R. Akiba disaient : « Si nous faisions partie du Sanhédrin, nous n’aurions jamais appliqué la peine de mort ».
Mishna (Macot 7, a)

Or, il demeure que si les conditions d’applications sont réunies d’un point de vue halakhique il relève d’une obligation de la Torah de l’appliquer[17], comment par conséquent les rabbins ont-ils pu se dérober de leurs obligations ?

Sachant qu’il était impossible d’un point de vue de la loi de la Torah d’abolir la peine de mort, les sages, n’ont en réalité absolument pas changé la norme halakhique. Ainsi, pour parvenir à leur fin, ils ont préféré dissoudre le pouvoir central du Sanhédrin, composé de soixante-et-onze membres[18], qui siégeait au Temple de Jérusalem, pour se soustraire des conditions d’applications. En effet, même si selon la Halakha tout tribunal de vingt-trois membres est habilité à juger les affaires criminelles, la peine capitale ne peut être prononcée que si le Grand Sanhédrin est encore en vigueur. C’est pourquoi c’est précisément en exilant le Sanhédrin de Jérusalem que les rabbins ont rendus la peine capitale inapplicable.

5.
De la question de la réinstauration du Sanhédrin

Reste cependant à comprendre pourquoi les juifs n’ont jamais envisagé de réinstaurer le Sanhédrin ? Cette question est d’autant plus pertinente après la création de l’État d’Israël. Qu’est-ce qui entrave aujourd’hui de rétablir concrètement la souveraineté juive ?

Il relèvent certes de l’évidence qu’un tel projet ne serait pas, à raison, du goût des laïcs en Israël, qui aspirent eux au contraire à une démocratie. Il se trouve néanmoins que la plupart des rabbins sérieux se sont toujours insurgés contre toute tentative de réinstauration du pouvoir religieux en Israël[19], y compris en y passant par des processus démocratiques[20]. Nous pouvons, en outre, noter que, hormis quelques cas de dérives isolées, aucune instance religieuse sérieuse n’a jamais cherché à réhabiliter le pouvoir central du Judaïsme pas même pour servir d’autorité aux juifs pratiquants[21].

De l’annulation de la Semikha

Quand bien même on pourrait ergoter à l’infini voir déplorer cet état de fait, il est de nos jours impossible d’un point de vue halakhique de réinstaurer la souveraineté juive. En effet : la condition première pour restituer le Sanhédrin est de rétablir au préalable la Semikha. Qu’est-ce que la Semikha ? Il s’agit d’une ordination qui octroi à tout sage ordonné un droit de juridiction. Maïmonide nous précise qu’en plus du fait qu’une Semikha doit être donnée en Terre d’Israël, celle-ci n’est valable que si celui qui la transmet peut justifier d’une Semikha transmise de génération en génération remontant à Moïse[22].

Il est vrai qu’au XVIe siècle, une des plus grandes figures rabbiniques de son temps, R. Jacob b. Moïse, le Mahari Bérav (1475-1546),  tenta de réinstaurer l’ordination. Il s’appuya sur un texte de Maïmonide qui précise que si « tous les juges de la Terre d’Israël s’accordent à rétablir la Semikha et qu’ils nomment, en conséquence, des juges, cette ordination est valable » (Mishneh Torah, lois de Sanhédrin 4, 11)[23].

En dépit du fait que Maïmonide lui-même n’était pas tranché, puisqu’il conclut que « La chose mérite cependant examen », le Mahari Bérav tenta malgré tout de convaincre ses contemporains du bien fondé de l’argument afin de rétablir la Semikha. C’est ainsi qu’avec l’aide des plus prestigieuses autorités de son temps, il ordonna quatre rabbins, dont  R. Joseph Caro (1489-1575), l’auteur du Shoul’han Aroukh[24].

Or, du fait que nombre de sages s’insurgèrent contre cette réinstauration[25], cette tentative échoua. C’est pourquoi, même si de nos jours on continue d’ordonner, la Semikha ne donne plus de réel pouvoir d’autorité, elle garde uniquement une dimension symbolique, permettant de juger les affaires courantes. Ainsi, aujourd’hui, plus aucun tribunal religieux n’a de pouvoir de juger ni les affaires criminelles[26], ni même infliger des condamnations pécuniaires[27].

Sachant en effet que le peuple juif n’aura plus ni les moyens ni les conditions d’appliquer la plupart des lois pénales du Judaïsme, le fait d’avoir aboli le pouvoir religieux a permis au peuple juif de s’adapter aux lois du pays, où ils se trouvaient, conformément au principe halakhique de « dina demalkhouta dina » – « la loi du pays vaut la loi de la Torah » (Guitin 10, b). Règle qui a fait l’unanimité dans toute la législation rabbinique.

Par conséquent, toutes volontés de vouloir changer la donne est non seulement vouée à l’échec, mais présente en plus un danger évident, et du point de vue de la législation du pays, et du point de vue de la structure même du Judaïsme. Ce qui justifie encore plus la volonté des sages d’anticiper la fin du pouvoir politique afin de n’appliquer, au nom de la Halakha, plus aucune sentence relative à la peine capitale et autres châtiments corporels.

Un des grands décisionnaires du Moyen-Âge, R. Aharon Halévi (mort vers 1300), le confirme, dans un texte publié dans les responsa (Bessamim rosh[28] note 212), voici ce que nous lisons :

Il faut rendre grâce à Dieu d'avoir suscité dans le cœur des sages d'Israël, des temps anciens, l'initiative d'abolir les sentences relatives aux châtiments corporels et aux affaires financières, et encore plus pour avoir annulé les condamnations à mort. Par nos grands péchés nous avons entièrement pervertie les voies de la Torah ainsi que nos capacités de produire un jugement juste. Nous ne faisons que tâtonner, ça et là, comme des aveugles, au point que même les plus grands, parmi les sages d'Israël, pourtant d'une large sagesse de cœur, ne sont plus capables de rendre une décision claire et limpide.
Convaincus d'avoir trouvé, sans le moindre doute, la solution adéquat, finissent par admettre, après un certains temps, leurs erreurs. Reconnaissant ainsi qu'ils auraient du tenir des conclusions contraires à ce qu'ils ont conclu. […] C'est comme ça que chacun, parmi les étudiants ou leurs maîtres, légifère en fonction de ce qui lui vient à l'esprit [sans tenir compte d'autres sources pouvant le contredire].
Il n'existe plus de pouvoir central et d'autorité en Israël pouvant nommer des juges [afin de vérifier l'authenticité de la décision de chaque tribunal au regard de la loi]. On trouve même, en certains endroits, des membres du tribunal rabbinique avec l'esprit si tordu et si déformé, que si, à Dieu ne plaise, on pratiquait encore de nos jours les sentences, chacun aurait le loisir d'appliquer les châtiments selon son bon vouloir, [y compris en prenant des décisions contraires à la Halakha].

6.
La logique des extrémistes

À mon avis c’est donc ici qu’il faut cerner les dérives des extrémistes. Maintenant que l’État d’Israël existe, et que selon cette logique, le peuple juif n’est pratiquement plus soumis aux jougs des Nations, il n’y a plus aucune raison d’en rester à la Halakha telle qu’elle a été définie à partir d’une logique diasporique. C’est ainsi qu’il s’agit pour eux de chercher par tous les moyens possibles de rétablir la royauté des temps bibliques en Israël, afin de remettre au gout du jour la législation religieuse qui était alors en vigueur, et de réappliquer toutes les sentences de la Torah du temps du roi David.

Certes de tout temps les juifs ont espéré en la venue du Messie et donc au retour de la souveraineté davidique, par conséquent, l’idée qu’un jour le Sanhédrin puisse être réinstauré n’est pas étrangère au sentiment juif.

Mais ceci est de tout temps resté du domaine de la foi. Même après la création de l’État d’Israël, tout le monde s’accordait pour dire que le fait que le peuple juif y vive n’est pas suffisant pour déterminer la délivrance annoncée par les prophètes. Il faut que le Messie vienne, réinstaure le Sanhédrin, garant de la souveraineté religieuse, il aura aussi en charge d’ordonner ses membres[29], de reconstruise le Temple afin de rétablir les commandements de la Torah, tels qu’ils étaient pratiqués à l’époque[30].

Toute cette réflexion montre, si besoin est, à quel point les rabbins ont été vigilants afin d’éviter toutes possibilité de réinstauration du pouvoir politique. Une connaissance minime de l’histoire juive et de son évolution suffit à rendre compte du bien fondé de la démarche. Or, Il est certain que le point qui motive les terroristes d’agir est suscitée par l’idéologie, de plus en plus affirmée, selon laquelle maintenant que le peuple juif jouit de sa souveraineté politique, le pouvoir de l’État doit se substituer à la norme halakhique telle qu’elle a été établie depuis la diaspora. Inutile de gloser sur le danger d’une telle entreprise, non seulement pour la stabilité de la région, mais en plus pour la survie même du peuple juif.

À l’évidence, il y a donc dans cette banalisation de la violence, légitimée au nom de la Torah, un glissement vers une toute autre conception du Judaïsme en rupture totale avec la norme halakhique, telle qu’elle a été fixée par les sages depuis la Mishna et le Talmud.

Ceux qui projettent, en opposition totale avec la Halakha, de reconstruire le Temple, partagent la même idéologie que ceux qui en son temps avaient accusé Rabin de mosser[31], soutenant ainsi son criminel, appuyés par certaines instances rabbiniques, ou encore les terroristes qui ont commis les actes de ces derniers jours. Sans parler de ceux qui commettent des violences récurrentes à l’endroit des Palestiniens[32], que ce soit par des crimes ou par l’élargissement des colonies, à l’encontre des résolutions de l’ONU, et par conséquent contraire à la Halakha. Tel que nous l’avons démontré ailleurs, après que les guerres de conquêtes ont été abolies le retour en Israël ne peut se faire, d’un point de vue halakhique qu’avec l’accord des Nations du monde. C’était le cas au retour des exilés de Babylone, qui n’ont pu reconstruire le second Temple, vers -515, qu’avec l’accord du Roi Cyrus[33].

Un article sur internet rapporte les propos d’un certain Gopstein, dirigeant du groupe radical juif,  qui pour justifier le fait de brûler des Églises aurait affirmé ceci :

« La loi est simple, l’interprétation de Maïmonide est que l’on doit brûler l’idolâtrie. Il n’y a pas un seul rabbin qui peut contester ce fait. Je pense que le gouvernement d’Israël doit l’appliquer ».

Cette phrase illustre à elle seule tout mon propos. Puisque Maïmonide déclare les Chrétiens idolâtres, et que la loi de la Torah, qui était en vigueur à l’époque, préconisait de détruire les idoles d’Israël, qu’aucun rabbin, affirme Gopstein, ne peut contester ce fait, le gouvernement d’Israël, fondé du pouvoir religieux de l’époque du Temple, doit donc l’appliquer. Le dirigeant du groupe radical juif occulte sciemment les restrictions halakhiques imposées par les sages rendant impossible de mettre de nos jours ces lois en applications.

Nous avons certes démontré ailleurs que la position de Maïmonide quant au statut des Chrétiens n’est pas évidente[34], que quoi qu’il en soit, en revanche, de son point de vue sur la question, il est loin d’avoir fait l’unanimité, puisqu’il n’a été suivi par quasiment aucun autre décisionnaire[35]. Mais même si nous admettions qu’une telle lecture de Maïmonide, qui considère les chrétiens comme idolâtres, est indiscutable, il n’est jamais venu à l’esprit de quiconque d’appliquer concrètement aux Chrétiens d’aujourd’hui le même traitement qu’aux idolâtres du temps des Rois d’Israël. Au contraire, de nos jours la jurisprudence rabbinique en ce domaine est constante, elle impose aux juifs d’avoir avec les païens idolâtres les mêmes rapports sociaux qu’avec n’importe quel juif, ceci entres autres pour favoriser les voies de la paix sociale[36].

Puisque nous l’avons dit de nos jours le peuple juif n’a plus le pouvoir d’appliquer les sentences de la Torah. Quelle que soit notre lecture des textes, toute velléité de vouloir réhabiliter les sentences bibliques à l’endroit des idolâtres ou même des pécheurs d’Israël, relève d’un autre interdit établi depuis le Talmud qui est celui de provoquer les Nations[37].

Or, dans la logique de ses extrémistes il suffit d’estimer que l’État d’Israël actuel est fondé  pour se substituer à la souveraineté juive, pour justifier à la fois les guerres contre les idolâtres, mais aussi pour engager des nouvelles guerres de conquêtes jusqu’à ré-annexer l’intégralité du territoires du Grand Israël biblique. On comprend que, dans un tel contexte, rien ne pourrait alors freiner ses fous de Dieu d’agir en conséquence.

7.
Du danger du nationalisme juif

Après l’émergence du sionisme on sait combien la plupart des courants religieux y étaient hostiles. Dans mon livre, Israël Palestine, la paix à la lumière de la Torah, après avoir fait une brève recension des différents courants religieux dans leur rapport avec le sionisme, je rapporte le témoignage poignant d’un des plus illustres rabbins d’Europe de l’Est, R. Issakhar Shelomo Teichtal (1888-1944), déporté et assassiné à Auschwitz.

En dépit de son appartenance à un courant de pensée très proche de celui des Netourei Karta, donc antisioniste, Teichtal prit conscience, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la tragédie que vivait le peuple juif partout en Europe. Alors qu’il tentait d’échapper aux nazis, Il écrivit, un ouvrage intitulé Em habanim semé’ha (Mère heureuse en ses enfants), dans lequel il encourageait la création de l’État d’Israël.

Ce rabbin, pourtant de la pure orthodoxie, est devenu l’une des principales références du sionisme religieux. Il n’en demeure pas moins qu’il avait conscience des dangers que le nationalisme pourrait provoquer suite à un engouement trop extrême pour les thèses sionistes au nom de la Torah. C’est ainsi que nous pouvons lire dans son livre :

La réalité de notre peuple [d’Israël] ne repose pas uniquement sur une idée nationaliste, comme sont représentées les autres nations de la terre, mais repose bien davantage sur la Torah, c’est par elle qu’il nous est possible de nous définir comme peuple. C’est donc à raison que le Sage des Arabes (Mohamed) nous qualifie de « peuple du livre », et que d’autres Sages parmi les nations nous appellent « peuple de l’esprit ». Par conséquent, il est faux de croire qu’il nous est suffisant d’exister à partir du principe de nationalité, une telle affirmation n’a strictement aucune réalité pour nous, et ne peut que réduire la véritable dimension du peuple juif.
(Em Habanim Semekha p. 63)

Même le Rav Kook dans sa conception religieuse du sionisme, portait davantage une approche humaniste et accueillante, aussi avec les non-juifs, sans aucune comparaison avec ce que font ses fous dévots de ses enseignements.

7.
Enjeux de la pérennité de l’existence juive

Remettre en question cette notion de la fin de la souveraineté juive et revenir de fait sur toute la législation rabbinique qui en découle depuis au moins l’époque de la Mishna, n’est pas seulement anecdotique. Au-delà du danger évident de laisser prospérer un tel discours, l’idéologie sous jacente des extrémistes est non seulement dangereuse pour la relative stabilité de la région, mais en plus risque de s’avérer fatale pour toute l’existence juive.

Sans l’initiative, de R. Yohanan b. Zaccaï, qui nous l’avons dit, avait préféré renoncer à Jérusalem et au Temple au profit de la ville de Yavneh pour y fonder l’académie des sages, il n’y aurait plus eu de peuple juif. À cette époque il a fallu, en effet, user d’une inventivité sans faille pour que le Judaïsme ne s’effondre pas dans les méandres de l’Histoire. Aussi, le fait de nos jours de vouloir changer la donne, sans même tenir compte des enjeux et de la complexité de ce genre d’évolution, risque à terme de subordonner toute l’existence juive à cette nouvelle réalité nationaliste.

C’est pourquoi à mon sens il n’est pas uniquement question ici de terroristes criminels mais d’une idéologie profonde capable de produire un schisme au sein du peuple juif. D’un côté ceux qui admettent la norme rabbinique actuelle et qui, d’une certaine manière, même s’ils aspirent aux temps messianiques, jouent le jeu de la modernité, et de l’autre ceux qui instrumentalisent une situation avant tout séculière à des fins de changer radicalement la norme du Judaïsme.

Il y a peut-être d’une manière pas toute à fait consciente une confrontation entre deux paradigmes totalement opposés qui font question quant à la structure même du Judaïsme. Est-il inviter à s’inscrire dans la logique de l’Histoire au côté des autres nations du monde afin d’y apporter sa pierre à l’édifice de l’humanité, ou doit-il se confiner dans un particularisme, et se réduire à une vulgaire conception nationaliste, balayant d’un revers de mains tout ce que le Judaïsme a pu apporter au monde ?

Sans rentrer dans le débat de fond sionisme/antisionisme en lien avec le religieux ou le politique, aucune raison rationnelle, ne peut nous certifier de la réalité immuable de l’État d’Israël. Que ce soit les mouvements des populations, le danger qui guette ce petit État de part en part, la montée de l’Islamisme etc…, en incluant aussi la radicalisation politique de l’État Hébreu. Sans être alarmiste outre mesure, nous sommes en droit de nous interroger sur ce qui pourrait nous convaincre quant à l’impossibilité qu’un jour cet État cesse d’exister. Que ce soit le fait d’une conjoncture démographique défavorable au peuple juif, ou par des guerres, ce qui serait beaucoup plus tragique.

Par conséquent, aussi longtemps que le peuple juif, tout en acceptant la sécularisation, continue d’assurer ses arrières en  reconnaissant à l’existence juive une conception bien plus large que celle d’un vulgaire nationalisme, sous couvert d’idéologie religieuse, il y a non seulement une chance de survit pour le peuple juif, mais cette ouverture permettra en outre d’assurer un avenir plus serein à l’État d’Israël. Je crains qu’à l’allure où vont les choses, plus Israël continuera de s’isoler dans un nationalisme radical plus cette situation risquera de s’empirer jusqu’à devenir la norme du peuple juif. 

Hervé élie Bokobza


[1] Cf. Maïmonide traité des Huit chapitres, chapitre VI, sujet longuement traité ailleurs.
[2] Cf. Hannah Arendt in Eichmann à Jérusalem (Folio 2007 p. 256 sq.).
[3] À ce sujet cf. Michel Onfray in « Le songe d’Eichmann » (Ed. Galilée 2008), dans lequel il réfute l’argument d’Arendt pour qui Eichmann aurait rien compris à la pensée du philosophe. Rappelons toutefois que, contrairement à ce que dit Onfray, Hannah Arendt n’est pas si catégorique lorsqu’elle affirme qu’Eichmann n’aurait rien compris à Kant, vue qu’elle-même précise qu’à la stupéfaction générale Eichmann produisit, lors de son procès, une définition approximative, mais correcte, de l’impératif catégorique : « Je voulais dire à propos de Kant, que le principe de ma volonté doit toujours être tel qu’il puisse devenir le principe des lois générales. ». Sujet traité plus longuement ailleurs.
[4] J’ai longuement traité de cette question dans la première partie du livre « L’Autre l’image de l’étranger dans le Judaïsme » (L’Œuvre 2009).
[5] Cf. Talmud (Sanhédrin 71, a) : « Les lois du fils rebelle et de la ville séduite, n’ont jamais été et ne le seront jamais [du fait de leurs conditions d’applications]. Pourquoi alors la Torah nous les a-t-elle imposées ? Afin de te donner le mérite d’en étudier leurs principes ».
[6] À ce sujet je renvoie les lecteurs à mon livre L’Autre l’image de l’étranger dans le Judaïsme L’Œuvre spirituelle (2009) à partir de la page 279. Même si je n’avais pas connaissance de cet ouvrage au moment où j’ai rédigé mon livre.
[7] Cette idée est déjà dans la Bible voir les versets de Jérémie (29, 4-7). Sur tout ce sujet je vous renvoie à la dernière partie de mon livre « L'autre, l'image de l'étranger dans le Judaïsme » op-cit ; « Judaïsme et citoyenneté ».
[8] Sur les 613 commandements à peine plus de 200 sont encore en vigueur.
[9] Cf. Maïmonide Mishneh Torah (lois des Rois chapitre 5).
[10] Cf. entre autres, R. Moshé Feinstein (1895-1986)  in Igrot Moshé (Hoshen Mishpat Vol. II,  chap.78) qui démontre que les guerres de conquêtes ainsi que celles contre les Amalécites ont été abolies à la destruction du premier Temple. L’auteur conclut : « Ce sujet est d’une telle évidence qu’il est inutile de le remettre en cause ». Cf. HeB, « Israël Palestine la paix à la lumière de la Torah » L’Œuvre 2008, (dans la partie relative aux guerres de nos jours, II, 3) op-cit.  
[11] « Des descendants d’Aman [lui-même descendant des Amalécites], affirme le Talmud, ont étudié la Torah en la ville de Bené Brak » (Guitin 57, b), C’est aussi la cas d’Antonin descendant des Amalécites et qui pourtant avait part au monde  qui vient (Avoda Zara 10, b, cf. Sefer ha-Hinoukh Commandement 425).
[12] Rois d’Assyrie de l’époque biblique (environ VIIe siècle A.V. J.C), mentionné dans le chapitre 18 du second livre des Rois.
[13] Cf. Mishna (Yadaïm 4, 4), Tossafta (Kedoushin 5, 6), Talmud, (Berachot 28, a), (Yébamot 78, a), (Sota 9, a) et les commentaires des Tossafot. R. Joseph Bavad (1801-1874), dans son fameux Minhat Hinoukh mentionne cet argument au sujet des Amalécites pour attester de la caducité du commandement de les anéantir (604, 5).
[14] Notons que selon Maïmonide (Mishneh Torah Lois des rois 1, 1), s’appuyant sur le Talmud (Sanhédrin 20, b), le commandement de détruire le peuple des Amalécites est subordonné à celui de nommer un Roi. Selon cette lecture on pourrait dire que ce commandement ne s’impose pas aux individus mais à l’ensemble du peuple, en présence d’un roi en Israël. Tandis que plus loin (lois des Rois, 5, 4), au sujet des sept nations, Maïmonide affirme cependant que cette injonction s’impose aussi à chaque individu. (Rien ne permet a priori de distinguer ce commandement avec celui de tuer les Amalécites). C’est aussi ce qu’affirme le Sefer ha-Hinoukh que même si cette mitsva s’impose d’abord à l’ensemble du peuple, ça ne dispense pas pour autant chaque individu de l’accomplir, s’il en a les moyens sans se mettre en danger.
Tout se passe comme si ce commandement se déclinait en deux axes : le premier collectif qui concerne l’ensemble du peuple, à l’instar des guerres de Mitsva, (imposées par la Torah) qui elles ne sont plus applicables de nos jours, et le second individuel et dans lequel chaque individu s’il se trouve dans la situation à l’obligation d’accomplir ce commandement.
Cette explication permet de lever la question du Minhat Hinoukh sur la sauvegarde de la vie humaine et le commandement de faire la guerre. S’il s’agit en effet d’un commandement collectif qui répond à une logique de guerre, nous ne pouvons prétendre qu’elle soit repoussée au nom du principe de « pikoa’h nefesh » – de la sauvegarde de la vie –, s’agissant d’une guerre il est logique qu’elle constitue un cas de danger de mort. S’il s’agit, en revanche, d’une injonction individuelle, il est normal qu’elle puisse ne pas s’imposer en cas de danger de mort, comme l’écrit le Hinoukh. Je viens de voir que les notes du Minhat Hinoukh des Éditions Makhon Yéroushalaïm (Jérusalem 1991) rapportent a peu près ce même argument au nom de R. Itzhak Zeev de Brisk (1886-1960), dans son commentaire sur la Torah, (Exode, section Béshalah), mais je n’ai plus l’ouvrage sous les yeux.
[15] Ce qui vient d’être dit peut nous permettre de mieux cerner la personnalité de R. Yohanan b. Zakaï. Bien qu’il était le plus jeune des élèves de Hillel le Nassi (président de l’académie des sages), il n'en était pas pour autant le moins important puisque c’est lui qui le succéda. (Cf. Talmud Souccah 28, b, Baba Batra 134, a, ainsi que les commentaires de R. Joseph Caro, Cessef Mishneh, sur le Mishneh Torah Lois de Mamérim 2, 1).
R. Yo’hana b. Zakaï vécut à l’époque de la destruction du temple, il ressentait donc légitimement la responsabilité d’apporter un renouveau à la vie juive et d’assurer la pérennité de sa tradition dans la diaspora.
Cependant, le Temple représentait alors le symbole fondamental du Judaïsme. Il fallait donc préparer le peuple à cette nouvelle situation. Or, le renoncement de b. Zaccaï pour la ville Sainte, peut laisser entendre un certain laxisme de sa part, au regard de l’importance que pouvait représenter le Temple aux yeux des juifs. C’est peut-être pour cette raison qu’il instaura certaines règles, après la destruction du Temple, visant le but de sauvegarder sa mémoire et de renforcer la foi juive en sa reconstruction (Cf. entre autres Mishna, (Roch Hachana 4, 1-4, ainsi que d’autres sources).
Il faut voir dans les intentions du fondateur de l’académie de Yavneh, un moyen de donner peu à peu un sens à la vie juive en dehors du temple de Jérusalem.
[16] Cf. Maïmonide, Mishneh Torah, (Lois de Sanhédrin 14, 11-14).
[17] Maïmonide précise en effet que si le Beth-Din (tribunal) n’applique pas la sentence, dans le cas où celle-ci doit être appliquée, il se rend coupable d’avoir délaissé un commandement positif de la Torah (Mishneh Torah Idem lois 3). Notons que R. Moshé b. Nahman, Nahmanide (1197-1263), inclue parmi les 248 commandements positifs de la Torah celui qui nous a enjoint de ne pas avoir « pitié » du condamné à mort, pour le soustraire de sa peine. Voir ses recensions des commandements que Maïmonide a selon lui oublié de compter, dans sa nomenclature des 613 commandements de la Torah (mitsva 13, publié à la fin du livre des commandements de Maïmonide).
[18] Misnneh Torah (Lois de Sanhédrin 1, 3).
[19] À ce sujet je renvoie les lecteurs entres autres aux écrits du Rabbi de Loubavitch (1902-1994) publié dans ses recueils de textes halakhiques Shoulhan Menahem (Vol 7, 8-9).
[20] On voit bien que les rabbins ont tout de même obtenu, par des voies démocratiques, la mainmise sur un certains nombre de dossiers, dont l’état civil. Il demeure qu’ils ne leur aient jamais venu à l’esprit d’user de ces mêmes voies pour réhabiliter le pouvoir central du Judaïsme tel qu’il était au temps de la souveraineté juive.  
[21] Projet qui aurait pourtant son utilité, au moins pour répondre aux défis de la modernité. Question qui pour le coup devient paradoxale. Disons qu’elle ouvrirait une boite de pandore qui risquerait de dévier du but escompté.
[22] Mishneh Torah (lois de Sanhédrin chapitre 4).
[23] Voir son commentaire sur la Mishna, premier chapitre de Sanhédrin. Notons qu’il s’agissait uniquement pour Maïmonide que les tribunaux puissent juger les condamnations pécuniaires, absolument pas de leur octroyer le pouvoir de juger les affaires criminelles, comme l’écrit R. Lévi b. Habib le Maharalbah (1480-1541) dans son Kountrass ha-Semikha.
[24] Code le plus répandu de La loi juive applicable en diaspora, ouvrage qui fait autorité encore de nos jours. Pour la petite histoire, notons qu’on a surnommé l’auteur « Maran », littéralement « Maître », acrostiche, en hébreu, de la phrase « deux cents rabbins l’ont ordonné ».
[25] Entre autres, R. Lévi b. Habib le Maharalbah (1480-1541), R. David b. Zimra le Radbaz (1479-1573).
[26] Mishneh Torah (Idem 14, 11).
[27] Le fait qu’on ait dit que tout Tribunal Rabbinique de nos jours agit en vertu du pouvoir transmis par les anciens, comme s’il était leur émissaire (Guitin 85, b), cela ne vient pas leur donner un pouvoir comparable aux Sanhédrin, mais vient juste légitimer leur autorité, au moins pour les questions pouvant être jugées de nos jours. Comme par exemple les litiges financiers à condition de ne pas imposer de condamnations pécuniaires. Comme le précise Maïmonide (Mishneh Torah (Lois de Sanhédrin 5, 8), voir aussi Joseph Caro, Shoulhan Aroukh au début de la section Hoshen Mishpat).
[28] Ouvrage publié par R. Isaac Di de Vilna (Vilnius) au XVIe siècle et qui regroupe des Responsa de Rabbins médiévaux principalement ceux de R. Asher (1250-1327), le Rosh. Bien qu'il y ait des doutes sur l'authenticité de l'ouvrage, R. ‘Haïm Joseph David Azoulay, le ‘Hida (1724-1806), dans son livre Shem ha-Guedolim, (Nom des grands), l'authentifie après que R. Saül b. Tsvi Hirsh de Berlin (Allemagne) l'ait republié en 1793, l’épurant, après de longues recherches, de toutes falsifications pouvant remettre en question l'authenticité du contenu du livre.
[29] Mishneh Torah (Lois des Rois 11, 4). Reste à savoir comment le Messie pourra-t-il ordonner, si la transmission de la Semikha n’existe plus ? L’éventuelle solution préconisée par Maïmonide que tous les rabbins d’Israël s’accordent à l’unanimité de rétablir la Semikha, est loin d’être à l’ordre du jour. Notons au passage que selon R. David b. Zimra, le Radbaz, le prophète Élie, qui, d’après la Tradition devra annoncer la venue du Messie, pourrait bien ordonner le Messie, pour qu’à son tour il ordonne les membres du Sanhédrin. (Cf. ses commentaires sur le Mishneh Torah, (lois de Sanhédrin 4, 11-12)).
[30] Mishneh Torah (Lois des Rois 11, 1), Cf. « Israël Palestine, la paix à la lumière de la Torah » op-cit, p. 118 sq.
[31] Litt. délateur, pour qui on doit appliquer la loi du rodef, poursuivant. Il est en effet autorisé de tuer une personne qui poursuit une autre pour la tuer, au nom du principe de la légitime défense. Rabin ayant voulu collaborer avec les ennemies d’Israël, il devenait ainsi un danger pour le peuple juif, et devait en l’occurrence être combattu y compris par les armes, sans même en passer par un jugement. (Cf. Talmud (Sanhédrin 72, b), Mishneh Torah (lois du criminel 1, 6)).
[32] Je ne mélange pas dans mon propos évidemment la question des représailles de Tsahal faisant suite aux rockets lancées contre la population israélienne où là c’est un tout autre débat.
[33] Roi de Perse, représentant des nations de l’époque. Cyrus avait alors donné son accord au prophète Jérémie pour que le peuple d’Israël puisse revenir sur sa terre après y avoir été chassé à l’époque de Nabuchodonosor. Voir Néh (2, 4-8), et Esd Ezra (2, 18) : « Ils achevèrent la construction sur l’ordre du Dieu d’Israël et de Cyrus. ». Cf. « Israël Palestine la paix à la lumière de la Torah » op-cit, en plusieurs endroits du livre entre autres Annexe I.
[34] Cf. L’Autre l’image de l’étranger dans le judaïsme op-cit à partir de la p. 254, où je démontre que même selon Rambam les chrétiens ne sont pas idolâtres. Cf. également mon texte sur la Trinité d’un point de vue halakhique, à paraître.
[35] Cf. L’Autre op-cit p. 257 sq, au sujet de l’opinion de Rabbenou Tam, petit fils de Rachi, (rapportée entre autre dans les Tossafot (Sanhédrin 63, b) et d’autres sources. 
[36] Mishneh Torah (lois des Rois 10, 12). Cf. L’Autre op-cit, à partir de la p. 277.
[37] Cf. Ketoubot (111, a) et d’autres sources.