samedi 14 mai 2011

ISRAËL – PALESTINE La paix à la lumière de la Torah

Devant la situation qui ne cesse de se dégrader tant à Gaza que dans les territoires, il m’a semblé opportun de proposer ici quelques réflexions sur les fondements religieux de la conquête des terres par Israël, de leur évacuation et de la création ou non d’un Etat palestinien.

Un souvenir d’abord. C’est l’été 2005. Les Israéliens quittent Gaza. La télévision interroge un rabbin : « La Torah interdit d’abandonner ces terres. L’Etat l’a pourtant ordonné. Quelle loi allez-vous suivre ? » Le rabbin répond naturellement, qu’il faut respecter les textes sacrés.
Cette anecdote révèle les préjugés qui ont cours au sujet de la Torah, alors que le langage de paix participe de la nature même du judaïsme : Grande est la Paix car la Torah n’a été donnée que pour faire la Paix dans le monde. (Maïmonide, Mishneh Torah, lois de ‘Hannouca 4, 14, d’après Guittin 59, b).

Lors d’une réunion, une femme m’a apostrophé, en me demandant : « Où trouvons-nous mention d’un Etat palestinien dans la Torah ? ». Je lui ai répondu que la Halakha (ensemble des lois, sentences et prescriptions religieuses qui règlent la vie quotidienne des Juifs) pose le problème de manière différente : la question n’est pas de savoir quel texte permet la création d’un Etat palestinien mais de voir si la situation actuelle répond aux conditions requises par la Torah pour que la descendance d’Abraham puisse hériter de la Terre d’Israël.
S’il est vrai que la Terre d’Israël est patrimoine du peuple juif, comme on peut le lire dans l’Exode (6, 8) : « Je vous emmènerai vers la terre que J’ai juré de donner à Abraham » et « Je vous l’ai donnée en héritage », la promesse divine s’applique à ce peuple seulement. Elle n’oblige en rien les autres nations à œuvrer pour que le peuple d’Israël entre en possession de son héritage. La question de la légitimité est ainsi posée. Les sages appellent cette loi convention internationale : la Halakha considère en effet qu’une terre appartient au peuple qui y réside et ne peut être annexée hors du cadre de cette convention. Ce n’est pas un principe à sens unique, il s’applique aussi à la Terre d’Israël (cf. Guittin 38, a et les commentaires de Tossafot).

De même, le fait que les nations modernes acceptent le retour en masse des exilés suffit par exemple à rendre inapplicable le décret imposant à Israël, par voie de Serments, de ne plus « revenir en puissance » sur sa terre avant l’avènement messianique (Talmud, Kétoubot 111, a). Lors du retour des exilés de Babylone, vers 515 avant notre ère, le prophète Néhémie ne prit l’initiative de rebâtir Jérusalem qu’avec l’accord du roi Cyrus (Néhémie 2, 4-8, 17-18). Les adeptes de l’usage de la force au nom de la Torah oublient que c’est en se fondant sur cette mise sous condition précisément qu’une partie non négligeable du monde de la Torah a rejoint le projet sioniste auquel il était opposé. En constatant que les gouvernements des nations, réunis à San Remo, ont statué que la Terre d’Israël revient de droit au peuple juif, R. Meir Sim’ha ha Cohen (1843-1926), l’un des grands maîtres du judaïsme, conclut que les Serments n’étaient plus applicables. La mitsvah de s’installer en Terre Sainte redevient réalisable.

L’injonction de la Torah : Car vous hériterez [de la Terre], et vous vous y installerez. (Deutéronome, 11, 31), ne saurait elle non plus être mise en œuvre hors du cadre défini par la Halakha. Car plus aucune guerre de conquête n’est permise aujourd’hui. Tout doit se faire par la voie pacifique.

Le R. Moché Feinstein (1895-1986), grandes figures rabbiniques de son temps, confirme : "Du fait qu’une guerre représente une situation de danger de mort Pikoa’h Nefech, les conditions exigées par la halakha ne sont plus réunies de nos jours pour entamer une quelconque guerre de conquête. Et ce, même s’il s’agissait d’un commandement de la Torah". « Cela est d’une telle évidence, conclut-il, qu’il est hors de propos de le remettre en cause » (Igrot Moché, ‘Hochen Michpat vol. 2 chap. 78). Enfin, même le Rabbi de Loubavitch, R. M. M. Schneershon (1902-1994) — pourtant opposé à l’époque aux accords d’autonomie — affirmera : « Si l’on me demandait s’il faut sortir en guerre, juste pour élargir les frontières — sans lien avec la sécurité — ma réponse serait négative. Cette guerre serait contraire à la halakha » (Livre Betsel hakho’hma p. 166).

On le voit bien, la position de la Halakha sur la question des territoires, de l’élargissement des frontières et de l’établissement d’un Etat palestinien est loin du discours radical qu’on lui prête si souvent. Le judaïsme est une religion de paix et non pas une idéologie de la guerre.


Hervé élie Bokobza